lundi 29 mai 2017

Saynète

Ils sont quatre. Ou cinq.
Debout ou assis. Un cahier
à la main, corné. Ils parlent

haut, en articulant, comme on
s'essaie à sourire dans la glace.
Dans une langue étrangère. Je tends

l'oreille, tout en ralentissant la marche
qui me conduit au dehors de la faculté.
C'est de l'anglais. Des tirades encore

déliées, comme le sont les cordes d'un
orchestre qui se prépare au concert. Je n'en
saurai pas plus, mais il y avait tant de grâce

dans cet échange inopiné -un déjeuner sur l'herbe
de l'an dix-sept- que je sors de Paul-Valéry en
clignant de l'œil au fantôme de William Shakespeare.

dimanche 28 mai 2017

Soir

Le soir se fait. D'un coup.
Les mains hésitent. Le salon
plonge dans le silence et l'obscurité.

L'écran du dehors est encore clair
mais les bruits ont cessé. C'est 
l'heure des télés et de la tisane.

Je lutte contre la tentation d'allumer
l'halogène. Mes doigts cherchent les 
touches et ma nuque se courbe.

Mon cœur ? Je l'ai laissé dans une pièce
tendue de rouge et de vert au zénith.
Les mots ne suffisaient pas. Il eut fallu

en inventer de neufs, comme les doigts, hardis,
jouent à la marelle sur une épaule tendre.
Le soleil était haut. Et le temps sans limite.

Vies de papier

en lisant Michel Quint

Tant de vies en si peu de pages.
De mort aussi. Lille est l'île
des impossibles lectures de

l'enfance. Plus que le sordide
qui pousse à fuir à toutes jambes
la tragédie soudaine, la fantaisie

de deux marionnettes à gaine dit vrai.
L'une, toute teinte en rouge, est l'image
de la mère que l'on croyait perdue. L'autre

est brune, coiffée des cheveux coupés courts
de la mère de l'aimée. La folie des hommes
en fond. La nuit confond les situations et

le lecteur aux yeux lourds ouvre l'encyclopédie.
«L'espoir d'aimer en chemin fait que l'on se damne.»
Ma non troppo, è vero?

Une astreinte

Dominicale. Dans le chant
des oiseaux et les nappes
de fraîcheur. Une astreinte

qui n'en serait pas une. Une 
évasion, en quelque sorte.
Sans nulle chaîne brisée,

Une nécessité, profonde.
Superposer deux sourires.Inviter 
deux lèvres à s'abreuver auprès

de deux autres. Chéries. Laisser
la peau suspendre la raison et
chanter une tendre oraison.

Tu seras belle dans ce jour sans
seigneur, laissant les tenues
endimanchées dans le dressing

ombreux. Il suffira de peu. Quelques
heures. Juteuses comme un pamplemousse
au réveil. Les draps seront cramoisis,

le souffle s'y reprendra. Les pieds,
appariés apprendront une nouvelle
randonnée. Sans astreinte. Libre.

Au matin

Délices de l'échange.
Un livre, ou deux, sont
prétexte dans le noir.

Rondeur des journées qui 
dans la nuit trouvent
leur source vive.

Les mots ont une peau.
Peau à peau. Le silence
chuchoté leur donne

chair. Clos, le livre
ménage d'improbables
unions, encre à encre.

L'assassin recouvre la
colombe, naître mourir.
Les mots sont aussi

prisonniers des pages.
Une prison dorée, en
faisant craquer la

reliure, on leur donne
vie. Ils s'envolent. Au 
matin la peau aura fraîchi.

samedi 27 mai 2017

Ensenya'm / Montre-moi

Ensenya'm ta llengua,
sisplau. A les fosques.
Sense cap lletra.

Tot just els sons aïllats,
units, barrejats dins de
la teva boca. Ensenya'm

el silenci que els fa tan
brillants com una posta de
sol a l'aspre Finisterre.

Ensenya'm ta llengua,
sisplau. Ta llengua de carn,
tèbia i punxeguda. Sense que

jo la vegi. A les fosques.
Sense cap pressa. Tot just
per a gaudir-ne. Afòticament.

***

Montre-moi ta langue,
s'il te plaît. Dans le noir.
Sans aucune lettre.

Juste les sons isolés,
unis, mélangés dans
ta bouche. Apprends-moi

le silence qui les rend
aussi brillants qu'un coucher de
soleil sur le rude Finisterre.

Montre-moi ta langue,
s'il te plaît. Ta langue de chair,
tiède et pointue. Sans que

je ne la voie. Dans le noir.
Sans aucune hâte. Juste
pour en jouir. Aphotiquement.

Une maison encaissée

Au cœur de la Provence,
de la lavande mauve, est
une maison reculée.

Basse avec des murs épais.
L'hiver venté la délaisse.
C'est au printemps qu'elle

s'ouvre. Aux amis, aux gens
de passage, harassés par la
conduite automobile.

Les repas y sont frugaux.
Une poignée d'olives noires
et grasses, du rosé frais,

des lupins et un peu de jambon.
On y rit, on revit le passé,
on y rêve aussi, à l'abri du

repli. Les communications n'y
passant pas, l'esprit se fait
plume et écrit à l'aimé. En

silence, presque sans un geste,
car la vie est là et les enfants
ont faim. Deux jours. Sérénité. 

Sa meva neboda / Ma nièce

Amb vestit vermell de gitaneta,
espera a la sortida de la sala.
Fosquet. És un dilluns al sol,

abans de la tertúlia amb els
amics. S'agafa de la mà de s'àvia
adorada. Em demano qui de les dues

és la més jove. Al costat, amb molta
discreció i un somriure de lluna i
d'estels, vetlla l'amfitriona.

Allunyat de l'illa, un matí de maig
a la fresca, retrobo les converses
amb la neboda, els riures, els acudits

i veig en el somriure de mumare la
riquesa dels éssers que s'estimen.
Ens tornarem a veure, Adeline!

***

Dans sa robe rouge de petite Gitane,

elle attend à la sortie de la salle.
C'est le soir d'un lundi au soleil,

avant la réunion des amis.

Elle serre la main de sa grand-mère
adorée. Je me demande qui des deux

est la plus jeune. À ses côtés, très 

discrète, souriant à la lune et
aux étoiles, l'hôtesse veille.

Éloigné de l'île, un matin de mai,

à la fraîche, je retrouve les conversations
avec ma nièce, les rires, les bons mots

et je vois dans le sourire de ma mère la

richesse des êtres qui s'aiment.
Nous nous reverrons, Adeline !

Un petit paquet de barquettes

Fermé d'un trait de langue, comme
une lettre d'amour. Rouge sang,
avec des traînées printanières.

Bilingue, entre Flandres et Midi.
À la française fraise répondent
l'alpha et l'omega de la rouge

aardbeien van LU. Au dedans :
quatre sachets anonymes, faits
pour des menottes. Présent infini.

Le petit les mangera plus tard,
dans le petit jardin qui entoure
la maison. Je le regarderai faire,

tout à la tâche de les disjoindre
et de les savourer. Puis je penserai
à des yeux verts si clairs que

Bazille, en les découvrant, eût quitté,
peut être les bords du Lez pour l'Escaut,
à moins que ce ne fût De Schelde...

vendredi 26 mai 2017

Aïllat

A vegades, l'etimologia
menteix. Em sento ara
aïllat. No pas com dins

d'una illa. No, tot el
contrari: sense una illa.
La meva, la nostra, de

pedres i de vent. De gent
generosa, de tracte amable,
i de llengua clara i polida.

Hi he deixat part del meu cor
i tota l'ànima. En una casa
pintada de blanc per un home

de talent, entre dues, tres
o quatre llengües. La meva
mare ho sap que es repassa

cada hora d'un sojorn molt
més que diví: humà. De dinar
en berenars i tertúlia.

Le voyage en Provence

L'Europe comme un papier de soie
que l'on chiffonne gentiment.
Les distances s'abolissent

et l'encre s'imprègne durablement
dans la paume droite. Bruxelles
touche Montpellier dans la conque

provençale. Le vin coulera frais ;
la conversation, amène, glissera.
Je sais pourtant une invitée dont

le cœur battra fort, assoiffée non
tant de rosé gouleyant que d'un
accent laissé loin, d'une langue

proche et distante qui antépose
volontiers l'adjectif au substantif
qu'il qualifie. Deux journées, une

poignée d'heures. Bien peu à l'aune
de cinq années. Et pourtant, un élan
neuf chez une jolie énamourée.

Le suffisant

Le soleil joue entre les branches
calmes, le petit en vélo a des audaces
sylvestres. Le banc étroit de pierre

tiède nous accueille. Sérénité au-dessus
du fleuve dont nous percevons la rumeur
continue mais que le feuillage nous cache.

Il n'est pas deux heures au cadran du juste
quand soudain un fâcheux nous interpelle
d'une voix faussement enjouée. Satisfait,

repu, la bedaine comme un étendard de foire,
il porte, en guise de sceptre, une bouteille
de soda qui, par contraste, semble minuscule.

Il nous demande où est le cours d'eau que l'on
entend distinctement et tempête contre la
distance qu'il juge excessive. À ses côtés,

épuisée, une femme pousse avec difficulté,
une poussette sombre. Ils sont passés.
La route est longue vers l'égalité.

mercredi 24 mai 2017

Devine

Élégance du verso
clos d'un trait de
langue évanoui.

Le grain du papier
écru accroche la
pulpe du doigt

qui le caresse. Temps
allongé. Douleur petite
et exquise. Ne pas ouvrir.

Pas tout de suite. Se fixer
longuement sur la devinette
qui le signe d'un trait et

d'un D à nul autre pareil.
L'enveloppe est épaisse,
l'intérieur cartonné.

Une histoire s'y tisse.
Peut-être? Avec un dessin
ou une photo. Un lieu à

partager ? Un animal fabuleux ?
Une pipe de Magritte ou l'empreinte
d'un artiste de cinéma sur un

boulevard fameux ? Je le saurai bien 
assez tôt. Pour l'instant je savoure
ton auDace dûment timbrée.


mardi 23 mai 2017

Tertúlia de dilluns

Perquè haurien d'esperar fins al final
de la setmana, reventats, abúlics?

No, s'estimen millor passar-se «los lunes
al sol» o, més aviat, els dilluns a la lluna.

Qui són? Uns amics reunits a La Rueda, un
restaurant càlid de Sant Lluís. I, entre
canyes i romanes, fetge i bravetes,

reescriuen el món amb accent de llevant.
Un dilluns de finals de maig, eren quatre:

en Paco, en Juanjo, en Carles i en Nando.
M'hi invitaren, amb gust. A la pantalla

del fons feien futbol, però ningú se'l
mirava. Jo a l'extrem de la taula, xalava.

Pixera matinera

Som de sa mateixa edat, o gairebé.
Ets fotògraf i dibuixes els peus
de ses dones primaverals amb tela

fina o cuero de color. Com jo,
a vegades, l'insomni te treu del
son. La pixera de s'homo de mig

segle que li recorda que encara
segueix viu, al bell mig del camí.
A les cinc de la matinada, sa vida!

lundi 22 mai 2017

Radiographie

Leonard Cohen conduit,
lunettes fumées au bout
du nez, un chapeau de

toile noire sur la tête.
À ses côtés, négligemment,
je donne une interview à

trois et mens. La nuit est 
censée être tombée depuis
deux bonnes heures. Je salue

le public d'une émission de
la nuit, outremer. L'ami
Pere, engagé dans la même

douce mascarade me soutient
de son ton grave et sérieux.
Délicatesse des questions,

entrevue préparée, le journaliste
s'y connaît et sa voix claire
enjoue. Leonard Cohen ne cille,

nous sommes parvenus au terme
de notre court périple. L'entrevue
est terminée. Je pense à toi, Véro.

Avant-scène

Lire. Un peu. Pas trop.
Relire mes vers dans ceux
de Pere, comme le «o» et
le «e» se lient dans le
cœur.

M'étonner des choix lents
ou rapides, impulsifs ou
réfléchis, jouer sur la
distance abyssale entre
la pierre 

et le caillou et, ce faisant,
alterner avec des vers d'amour
pour toi. Libres, en cinq fagots
de cinq, comme les doigts de
ta main

au sortir de la consultation.
Outrepasser la mer, boire le vert
de tes yeux dans l'outremer de mes
mots. Passent les minutes, décompter
les quarts d'heure.

Te glisser à l'oreille l'immense
confiance qui me lie depuis douze
ans à l'ami Pere, confrère et durable
inspirateur. Le désir de dédier un
peu de mon souffle

à Martina, sa muse, discrète et enjouée.

Tot binnenkort

Le calendrier s'effrite entre nos mains,
Des limites tranchées entre les jours,
rien ne demeure que la sensation d'un

présent prolongé. La distance est caresse
et quand tu me lis, tu crois m'entendre.
Je conjugue l'avenir au futur proche,

porté par ta confiance tendre. Tot binnenkort,
mijn liefde. Vertrouwen uit sensualiteit.
La sensualité naît de la confiance...

Six jours

La langue glisse contre le palais,
humide. Six jours. Peu ou prou.
Le cœur bat délicieusement.

J'aime les projets petits, les grands
aussi. Somme délicieuse de petits
moments orientés, comme la main

noue d'un brin les fleurettes cueillies
au bord du chemin. Parler, parler encore,
vivre ce moment, ces heures à venir,

s'en faire la geste discrète, l'histoire
à venir. Construire le passé d'un futur
espéré. Et s'étreindre voluptueusement.

dimanche 21 mai 2017

Équidistances

Distances égales, cœurs appariés,
le silence s'emplit de désirs petits
et infinis. Sérénité. Tu me dis que

le jardin à quatre s'est dégagé,
emportant aux vents mauvais les tensions
de naguère. J'imagine la sueur à ton front,

leurs doigts gourds dans l'effort. Votre
unité. Bien sûr les grands y furent plus
enthousiastes mais non moins coordonnés.

Je t'aime à quatre lèvres, peau à peau,
ta main dedans la mienne. Mais je t'aime
aussi là-bas comme ici. Tu y es toi.

Et le soir, ici comme là bas, nous dessine
dans la lumière adoucie. Plus tard viendra
la fraîcheur, le désir de l'étreinte. Bientôt.

Tamariniers

La scène est au bord du grau,
entre mer et étang. Non loin,
les enfants jouent à chercher

des vers pour la pêche des grands.
Il n'est pas midi, l'heure du café
et du thé vert brûlant. Le dialogue

courbe les visages et caresse les
mains. Je me suis écarté et vous
regarde longuement, tout à la joie

de cette heure inouïe. Du vent dans
les branches de sassafras me revient
soudain à l'esprit. Mais Obaldia est

si loin avec son Kentucky d'opérette.
Nous sommes à Minorque, au cœur d'une
réserve et je vous aime, mes parents,

mon ami. Maryse est de côté. Sa voix
se casse dans l'émotion. Je bois ses
paroles enthousiastes, à mi chemin

entre trois langues. Au centre est Adeline,
si belle. Elle voit ce que nos regards trop
bas ne savent voir : l'ouvrier sur le toit

qui chaule les tuiles à l'aide d'un balai
improvisé, les écailles des langues qu'ébarbent
ses doigts neufs. Pourquoi un concept si clair

dans une langue, aux modalités surprenantes, 
peine-t-il à se faire entendre dans une autre
unifiée ? Paco, à sa droite, a la parole lente

et posée. Il ne juge ni sélectionne, il dissèque
chaque mot comme l'ongle brise la coque du fruit
sec pour en extraire le noyau savoureux. Je ne les

écoute plus et mes mains épousent mes cuisses. 
La concorde naît par delà les mots, à l'ombre
grêle des tamariniers touffus...

Quadrillages

Si j'étais Dieu, je ferais de la terre
un miroir, je m'y peignerais lentement,
en longues traînées parallèles, à peine

ennuyeuses. Mais je ne suis qu'un homme,
alors je regarde, reconnaissant, mes pas
et, sous eux, la trace des chemins.

Le route du gouverneur Kane, les murs de
pierres sèches, les bancs chaulés des lices
séculaires. Blancheur des lignes, perfection

inachevée du tracé. Mes rides ne sont rien,
elles s'informent de ces quadrillages sans
fin qui nous dépassent et embrassent ma vie.

Dona'm / Donne-moi

Dona'm un retrat teu.
Petit, humil, un selfie.

Pinta'm sa vida amb ulls
d'algues vives. Com un ballet.

Deixa passar ses hores de sol,
es dia de canonge, tranquil

i tendrament assolellat. Vine as
meu costat. Xalarem a ses fosques.

***

Donne-moi un portrait de toi.
Petit, humble, un selfie.

Peins-moi la vie avec tes yeux
d'algues vivantes. Comme un ballet.

Laisse passer les heures de soleil,
le jour magnifique, tranquille

et tendrement ensoleillé. Viens
à mes côtés. Nous nous régalerons

dans l'obscurité.

Écrivivre

Le ciel est clair et l'amour m'envahit.
La mer frise entre nous et les kilomètres
s'allongent. Nous n'avons jamais été

aussi proches l'un de l'autre. Ton front
se fronce et sur les fronces de mes rêves
effrangés, je danse. Silence de la nuit

encore proche, cliquetis des doigts qui te
cherchent et te trouvent. Écrivivre. Comme
dit un ami dans le vert paradis d'un figuier

retrouvé. Tot binnenkort. Fins aviat. À bien
vite. Les langues sont un ballet, tu y prends
ta place. J'y suis bien. Et mes yeux sont verts.

samedi 20 mai 2017

Besoin soudain

Le matin déjà haut. La banlieue
nord d'une ville du sud. Un besoin
irrépressible de toi me contraint à

m'arrêter en marge de la route, contre
un magasin de vêtements pour enfants.
Ton image sous le verre dans la main,

ta voix, cinq minutes puis la route finira.
Ton sourire humide d'aigue marine et
ta main qui, depuis, jamais ne me quitte.

Liefste

Une langue par bribes,
par écailles de nacre.
Une langue de sons et

de lettres, de mots ronds
comme tes yeux sous l'étang.
Mijn doktor, liefste. Liquides,

sifflantes. La vérité dans trois
mots neufs cueillis, inventés
et l'amour qui entre nous croît.

vendredi 19 mai 2017

Un diamant

On dit que le diamant,
chauffé à haute température,
devient du graphite, une simple

mine de crayon. Moi, mon diamant
ne se voit pas et il n'y a que 
dans mon cœur et dans mes yeux

qu'il brille d'une lueur singulière.
Il guide ma main sur la page, bien
loin des palimpsestes que le passé

connut. Mon diamant, quand il rit,
a une eau très pure, comme d'émeraude,
et il danse la nuit dans ma paume fermée.

Le concert

Ce serait un concert, un mois 
avant la Saint-Jean, un soir.

Des amis joueraient du rock.
Et de la variété. Nous nous
tiendrions serrés, comme deux

adolescents, ta hanche frôlerait
la mienne et mes doigts serreraient
les tiens. La soif nous surprendrait,

la faim aussi. Nos chopes de houblon
clair transpireraient et nous nous
brûlerions les lèvres à grands coups

de frites salées. Nous serions bien.
Nous sommes bien, déjà. Veux-tu ?

Sculpture

Sculpture. Culture avec
un «p» et un «s». Avec
une pipe et un crochet.

Pied de nez aux salons
et au bon goût. Nul besoin
d'en appeler à Courbet.

L'origine du monde est
bien là. Dans l'absence
des mains que le silence

impose. Instantané. D'un
passé immémoriel et dont on
cherche pourtant la date.

Arrêt. Non pas sur image,
ni sur geste mais sur
l'étreinte. Mains Janus,

d'étrangleur ou caressantes.
Le spectateur, béotien, n'en
saura jamais rien. Et le marbre

est si froid. Se repaître d'un
cadavre exposé alors que la vie
est si brève ? Se peut-il ?

Je cherchais le guide, la lumière
qui me ferait comprendre. Avec
un un «p», avec un «s». Je l'ai

trouvée, avec un «v», avec un «d».
Toute vitesse, toute débrouillardise.
Et ma main sur le marbre a tiédi.

jeudi 18 mai 2017

Karstiques

Dans les bosquets, la plage.
La plage et ses embruns iodés.
Une fantaisie de rivage,

un soupçon de folie. Descendre
du bois la pente, comme on longe
le rivage, les pieds dans le sable

mouillé. Ta peau, si fine, est rétive
au soleil, elle préfère l'ombre mauve
du chuchotis. La mienne aime son île

et sa farine blanche que ravive soudain
un turquoise sans fin. Alors je te la crée
cette mer improbable et son pédalo estivant.

No oblidis

No oblidis la teva llengua. El parlar pla
dels avantpassats. Prepara't a creuar la mar
amb la mare, un dissabte de maig.

No viatjareu sols. Us acompanyaran el llinatge
perdut i aquell que comparteixen amics i parents.
Guasteví. Gomila. Tantes pedraules sota l'escalpel

de l'amic Joan. Pedres vives, paraules plenes. On són
els mots de l'avi i de l'àvia? Encara conservo a l'armari
les copes clares del cafè. Les voldria omplir de la birra

tendra de la saviesa passada. Mare, prest t'estaré preparant
la maleta amb els vestits de flors i les sabates d'estiu.
De tu aprendré molt i deixaré parlar el nostre amic el vent.

Fluences

Les mousses et la fraîcheur
ne suffisent pas. La pente
croise d'antiques lits
ensommeillés.

Le cours liquide est ailleurs
que le printemps exige. Dans
ta parole de violette ou sous
ta peau.

Claire, fine, brillante, elle 
fait naître des mirages aux yeux
du promeneur non hâtif. Tatouages
de vie.

Fins réticules, çà et là, bleutés,
mon encre sympathique où mes doigts
négligeamment prennent leur force
et leur inspiration.

Fluences. Fluences de capillaires.
Ton cœur s'anime soudain, au plus bas
de la pente, sur un mamelon moussu.
La vie flue

et irrigue mon chant. Combien de temps
aura-t-il fallu pour en arriver là ?
Quelques minutes ou un siècle coupé
en deux comme l'orange

sous le couteau du bateleur ? Qu'importe,
l'essentiel est ailleurs. Dans les chemins
sans fin du réticule. Parler et puis se
taire. Construire. Aimer.

mercredi 17 mai 2017

Sinon

De moi tu ne veux de cadeau,
sinon mon souffle et mes mots.

L'île de bois et de rivets en marge
des fauves assagis, à Lunaret.

La main d'un enfant qui marche
gravement, le cœur dans les coquelicots

De  moi tu ne veux de cadeau,
sinon mon souffle et mes mots.

Mes doigts qui ont écrit et tardent
à s'envoler quand la peau de ton dos,

près de la nuque, les retient un instant.
Heures exquises, minutes plutôt.

Le songe d'une vie, l'entente infinie
Ne rien attendre. Tout donner. Recevoir.

dimanche 14 mai 2017

Aimer

Se réveiller en silence,
cependant qu'au dehors,
une pluie fine étouffe

les chants d'oiseau,
comme de l'étoupe.
Remercier le monde

de sa profusion et
du hasard qui préside
à la rencontre de deux

êtres ; ne point y voir
un cadeau donné sur
l'instant mais un présent

renouvelé à chaque journée.
Faire de la distance, de 
l'absence, un ferment neuf.

Laisser les mots se former,
se tisser, s'épauler, donner
à la langue tout son espace

de liberté. Tel est mon propos
petit en cette grise journée
d'un joli mois de mai.

Méditation

Un petit cercle,
tout petit, une
maisonnée.

Le jeu, car c'en
est un au début,
consiste à dire

de chacun des deux
autres des qualités
éminentes, qui le 

rendent aimable et
attachant. Méditation
sage, en paroles, jeu

qui bientôt touche à
l'essentiel du lien qui
nous unit. Respect.

Malgré la distance ou
la proximité. Les mots
y importent moins que

la confiance et les regards
émerveillés. Huit années
se sont écoulées,

depuis ta naissance, et là,
mon fils, je vois combien
tu as grandi.

vendredi 12 mai 2017

Caprifoliacées

Plus que les plaines infinies
ou les bois touffus, les villes
hallucinées ou les banlieues

hostiles, j'aime les marges,
les haies, les lisières, les
lianes, les taillis et les

buissons. Par sa délicatesse
au bout de tant de vert,
le chèvrefeuille me plaît,

à l'odeur incomparable, comme
de jasmin encanaillé. Alors,
je te l'offre, à toi, ma muse,

qui sais de la lisière du cœur
et de la raison, m'apprendre
les contours subtils et vrais.

Comme un non-anniversaire

Je n'ai pas acheté de muguet,
la voiture filait et le jour

s'écoula. Et voici que la table
grise m'offre un bouquet fané

aux clochettes défraîchies. 
Noué d'un brin, déposé dans un

joli vase, il fut un sourire
et une attente et, à présent,

le signe tangible de la chaleur
entre les êtres qui demeure

malgré les jours qui passent
et les larmes causées.

Lune, y es-tu !

J'ai rêvé à la lune,
comme on cherche
le loup. Je l'ai cherchée

dans les rues froides et
sonores. Mes mots avaient

perdu alors toute magie et je
promenais devant moi comme

un miroir sans tain. Des élucubrations,
des propos décousus. La lune n'était

plus, et ma parole chaude à toi se refusait.
La nuit est passée, déjà l'aurore chante
,
avec une lune bien blanche, d'une ivoire
polie. Tu m'y attends, je sais, du monde,

tu es la clé. Je l'avais oublié tantôt,
cependant que seul, nuitamment, je marchais.

Dans quelques heures

Dans quelques heures, tu auras huit ans,
dans quelques heures, seulement.

Pour l'instant tu dors, insensible à
l'aurore qui soulève un peu le volet.

Au dehors, les oiseaux, par leurs chants,
déjà te fêtent et un avion lent passe
gravement.

Dans un peu plus de deux heures,
ce sera la classe, l'attention maîtrisée.

Écoute et bois le monde, la maîtresse
en connaît une bonne tranche.

Et puis nous nous verrons, à midi et
encore le soir. Tu auras sept ans,

un peu, pour quelques heures encore,
et je te ferai un peu de magie et nous

courrons ensemble. C'est long de devenir
un homme, mais on peut s'y amuser aussi.

Pentasyllabes...

Comme les cinq doigts
de ta jolie main,
ces cinq petits vers
sont une baguette
pour veiller ta nuit.

jeudi 11 mai 2017

Lune gibbeuse

Lune gibbeuse,
que j'imagine
et que la pluie
me voile.

Lune gibbeuse,
que tu imagines
et que les mots
dévoilent.

Une jolie bosse
d'ivoire lui tient
lieu de courbe.

Et l'envie me prend,
de m'en faire un
écritoire grêlé

pour t'écrire des
vers de nuit quand
tu dors et songes,

des vers courts,
sans nulle ambition,
à croquer au réveil

entre la tasse et
la tartine, avant 
que de partir vite

réparer les corps
blessés et consoler
les âmes apeurées
de ton sourire de

lune. De lune rêveuse,
de lune gibbeuse, qui
offre sa courbe en
présent infini.

mercredi 10 mai 2017

Une épine au goût de sang

Midi avait sonné en ce jour
de repos et les promeneurs,
d'un coup, avaient cessé

leurs rondes incessantes pour
s'arrêter saucissonner, au bord
des sentes les plus ombreuses.

Ils étaient différents, par leur 
mise, par leur propos. Ils avaient
marché lentement, dans des baskets

de toile tendre, peu propices à la
longue randonnée. Un vallon hasardeux
les accueillit et, parmi les petites fleurs

mauves, gardiennes du désir, elle, puis
lui, s'assirent. Sous eux, le bartas
veillait de mille épineux, secs et

intrépides. Il se piqua au doigt, elle
lui tendit un petit mouchoir en papier
blanc qui rougit sous la pression câline. 

Plus tard, bien loin de Saint-Sauveur,
en cherchant, dans ses poches, les traces
de la récente félicité, elle se piqua

au doigt, le même, et suça discrètement
la tiède perle rouge. Elle redevenait
enfant et à lui s'était soudain mariée.



samedi 6 mai 2017

Menorca en blanc / Minorque en blanc

Deixa'm somiar, amor.
Que passen les setmanes
sense rumb ni foscor.

Necessit, prest, sa vida
salada, sa presència de
mon illa. Saps que hi

aniré amb sabates de xarol
i barret de palla blanca,
conduint mumare, na Marisa,

a sa casa de l'amic al mig del 
poble blanc d'un Nobel revifat 
i de tendres versos per escriure.

***

Laisse-moi rêver, mon amour.
Car les semaines passent
sans cap ni obscurité.

J'ai besoin, rapidement, de la vie
salée, de la présence de
mon île. Tu jais que j'y

irai avec des souliers vernis
et un chapeau en paille blanche,
conduisant ma mère, Maryse,

chez mon ami au milieu du
village blanc d'un Nobel ressuscité
et de tendres vers à écrire.

Sculpture, culture, bouture

Au début était la glaise,
tiédie par les doigts du
potier. Le tour rapide par

la jambe actionné, les lignes
parallèles, ignorant des doigts
l'empreinte indélébile. Puis

sont venus d'autres matériaux :
la plâtre, le marbre, le bronze.
Le bois surtout, tendre et dur.

Sur un meuble étroit et long :
une maternité inachevée. Le ciseau
a laissé sa trace. La patine désirée

repousse la poussière qui s'y colle
et tente de l'affadir. Combien de temps
y-a-t'il que tu l'as délaissée, cette

œuvre de tes mains ? Qu'importe. Elle est.
Offerte aux rares visiteurs de ce musée de
blancheur. Un étonnant cabinet des curiosités

ouvert à la lumière et clos aux intrusions.
L'inachèvement y est, je l'apprends, nécessaire.
La maternité jamais ne se parfait. Elle avance

et ta sculpture, étape de culture, s'unit aux autres
formes du savoir. Rameaux convergents. Capillaires
de sève. Bouture infinie vers où tend mon écrit.

Accents

-Alles goed? -Prima!
Que lente est l'avancée.
Deux voix font un monde,

Adam et Ève de papier.
Lettres accolées sans
ligature. Séparation

ténue entre les signes
sus et les accents à
venir. J'apprends lent

et tremble. Que neuves
sont les langues et
tendre l'insondable.

Je connais

Je connais à présent
ton lit, sa tiédeur.

Ta peau qui au coton
perle s'unit. Tes yeux

et ton rire. Je les vis et
à quarante lieues sais

de mon silence aimant
te veiller, mon amie.

vendredi 5 mai 2017

Le sommeil d'une mère

Épuisée, elle s'est affaissée de côté,
sur l'étroit et incommode fauteuil en osier.

Son souffle est fort et ses yeux sont clos.
Toute une journée de fatigue, toute une vie,

surtout. Au service des autres, de ses enfants, 
surtout. Des sourires par milliers, des expressions

toujours aimables. Le pas discret d'une petite souris
quand la maisonnée dormait. Voici peu la maladresse

empressée d'une vendeuse lui a fait briser une bouteille
de whisky, de l'Islay de ses deux fils aimés. Elle a cru

ne jamais s'en remettre. Au loin, sa voix s'était voilée.
Il a fallu bien des minutes pour la réconforter. C'est

fait à présent. Et la voilà qui dort, La Grande Librairie
achevée. Et je lui rends hommage, qui sans elle ne serai.

jeudi 4 mai 2017

Sur le quai

Un pas devant l'autre,
lentement,
précautionneusement.

Je suis la bande blanche,
étranger à la foule compacte.
Plus haut, le haut-parleur

décline des noms de villes
aimées et il me prend l'envie
d'avec toi aller les visiter.

Une nuit dans chacune, ronde
comme un an, pleine comme
une semaine. Mais déjà le train

arrive et la bande​ est piétinée.
Une petite heure encore et dans
mes rêves je te retrouverai.

Un pantalon rouge

Midi avait sonné aux
horloges lointaines et

déjà mon cœur battait
fort. Je la vis ouvrir la

porte blanche et je m'y
engouffrai, disert. Ce furent

des minutes précieuses
qui nous laissèrent cois.

Son pantalon, de toile
rouge, garda longtemps

la trace de mes yeux
de vie. Souvent, lorsque

le soir se fait, je l'imagine,
rougeoyer sur le canapé

sombre, comme le phonème
rauque d'une langue autre

que j'apprends, jour après jour,
pour m'en souvenir, aussi.

Mains

Mains. Des mains.
Deux mains. Pas
les tiennes, aimées.

Deux inconnues qui
pétrissent la pâte,
avec parcimonie.

En silence et que
le four oubliera,
tout juste englouti

le pâton odorant.
Des empreintes
digitales, seul

demeurera le
souffle juste
d'un artisan,

une bulle vive
d'humanité
ignorée.

L'invention

La maison blanche se démultiplie,
au sommet d'un mamelon. Étoile brisée,
que l'on aurait oubliée à l'amorce de

juillet. Amples dalles mates. Le pas
se ralentit, de salle en salle, de
statue en statue. Polychromes,

clownesques. Silence des bois flottés
et de l'acier brossé. Le verre, inerte
et froid, excave les souvenirs bruxellois.

Je touche de l'index chacune des pointes de
l'étoile. Microcosme. L'homme de Léonard se
circonscrit dans tes espaces et le temps

n'existe plus. Il exulte. Qui a parlé de futur ?
Chassons les paroles anciennes et inventons-nous
des mots neufs. Boules de couleur entre des

personnages hiératiques sur un meuble flamand.
Ris, délaisse le café des machines, retrouve le
percolateur dont je t'avais parlé. Ferme les yeux.

Tu y es ? Un, deux, trois soleil ! Le zénith approche.
La semaine est en son mitan et le jour en son cœur. Nous
voici séparés. Un temps. Un temps seulement. L'espace,

stellaire, nous unit. Et la piscine, rase et tiède, n'en
finit pas de pleurer des crocodiles les antiques saignées.
N'aie plus peur et soyons meubles. De couleur et de sang.