samedi 31 janvier 2015

Ábreme

Ábreme las puertas del museo,
amiga desconocida, ábremelas
de par en par, sin miedo ni
timidez. Invítame a saborear

los detalles más nimios y hondos.
Mi vida se pierde hacia adelante,
los años placenteros se fueron y
sólo me quedan horas de sabia 

observación. Pero de tanto hablar 
en aulas pequeñas, perdí la humildad
y anduve esquivando los cuadros para

contentarme con lecturas austeras y
resecas. Ya no soy docente. Ya no soy
alumno. Soy nuevo. Por poco tiempo. Ábreme.

Te chercher en paix

Te chercher entre les pages des livres oubliés
et cornés par les voyageurs de passage,

te chercher sur les écrans lancinants des gares
en sommeil, interroger les passants, faire son

miel des mots qui se bousculent dans leur bouche
inhabituée puis partir en courant, le sourire aux lèvres

et le cœur en écharpe. Fermer la porte à double tour
sur la maison silencieuse. Te retrouver et te laisser en paix.

Feia dies / Cela faisait des jours

Feia dies que no escrivia.
Havia deixat la llengua al caliu,
uns mots rodons com castanyes tendres.

Feia dies que hi pensava, que no contestava
les preguntes amigues, inquietes, tendrement
inquietes. A veure quan em decidiria a tornar

a ma llengua de cor? O era un propòsit secret,
d'aquests que et roben l'ànima a canvi d'una
falsa lleugeresa? No, senzillament, com solia

repetir qui fou president d'un país meu, deixava temps
al temps i assaboria les paraules callades, aturades
a la boca, tèbies, camí d'una certa i segura felicitat.

***

Cela faisait des jours que je n'écrivais pas.
J'avais laissé la langue au chaud,
des mots ronds comme des marrons tendres.

Cela faisait des jours que j'y pensais, que je ne répondais
pas aux questions des amis, inquiètes, tendrement
inquiètes. Voyons quand je me déciderais à revenir

à ma langue de cœur ? Ou bien était-ce une résolution secrète,
de celles qui vous volent l'âme en échange d'une fausse
légèreté ? Non, simplement, comme avait coutume de répéter

l'homme qui présida un pays mien, je laissais du temps
au temps et je savourais les paroles tues, suspendues
en bouche, tièdes, sur le chemin d'un bonheur certain et sûr.

Glissements

Ma main ne glisse plus sur ton épaule,
ni mon regard sur tes yeux mais nos
paroles glissent les unes sur les autres,
se croisent et se conjuguent .

Silence de l'instant, attente des heures
chaudes. Te savoir à l'écoute, inventer le
retour de l'esprit, partager la rencontre
hasardeuse d'un dramaturge aux yeux

d'enfant. La ville a froid que je sillonne, les
mains dans les poches, l'esprit libre et ouvert.
Que sont les siècles pour si peu ? Rien. Tout.
Une glissade amie sur des glissements à venir.

mardi 27 janvier 2015

Incansable

Incansable te veo entre cultura
y cultura. Sorteas edificios y
cuadros con pies ligeros, a deshora.

Se me escapan las palabras, se te
gravan las impresiones a todo color
con tonos ligeros, a deshora.

Impresos, carteles, anuncios: el presente
se conjuga en futuro de ultramar. ¿Se te
ocurre dormir, amiga, a deshora?

A Brasileira

Le temps s'était arrêté
dans la pénombre et le café
amer me gerçait les lèvres.

Étranger à la ville et à l'amie
qui alors m'accompagnait, je regardais
fixement la pendule de bois silencieuse

sans savoir que des années plus tard, tu
croiserais mon regard vers un homme simple
qui s'appelait personne, intranquille et pressé.

Comme moi, tu mépriserais les hordes de touristes
étreignant au dehors la figure de bronze pour de
lunettes à monture d'acier boire les perles de rosée.

dimanche 25 janvier 2015

Sueño-insomnio

Al despertarme no te pudiste dormir,
no por el roce de mi piel, mediaban
millares de leguas marinas,

sino por la frialdad de los mundos
deshabitados que te ocupan, golosos
de tu inteligencia, tan aburridos ellos.

Al dormirme esta noche, ¿me podrás
acompañar? No te pido nada, sino la
tebia amistad de los mundos ajenos.

mardi 20 janvier 2015

Et le soir est tombé

Et le soir est tombé sur les rues hautes
ventées. Pas une âme qui vive, pas un mot
auquel t'accrocher. l'Alfama do Alto a tiré

ses volets et les bars à fado tardent à ouvrir.
Il te reste peu d'heures et les ossements de la
langue t'engoncent dans ton manteau. Tu es ombre

et tu es vie. Peau claire et frange de suie. Qui
te verrait marcher vite, tenant haut de la main
droite ton col, jurerait que tu es d'ici, serveuse

de vinho verde dans un petit bar à musique, familière
d'Amália, lectrice de Lídia. Il se tromperait lourdement
car c'est dans un petit bar de Sète que tu t'apaiseras.

El silencio del amar

Nadie me había hablado tan acertadamente
del silencio entre los seres. Ni de la
desilusión que entrañan las palabras.

Tú lo hiciste, preciosa desconocida, en
una frase y varios blancos. Amante de las
palabras, impertérrito parlanchín, empecé

por rechazar tu opinión. Y ésta, poco a poco,
se me entró en la garganta y me cuestionó cada
una de las pocas certidumbres que suelo albergar.

Me detuve. No te miré a los ojos pues hasta no sé
que los tienes ni de qué color son. Pero me dije,
a ciencia cierta y en total desconcierto: nos estàs

hablando del silencio con palabras. Pues: el silencio
no es muerte. Son palabras suspendidas en vilo y que
esperan una buena sazón para caer suavemente a tus labios.

dimanche 18 janvier 2015

Cannellonis

Les cannellonis requièrent temps et patience,
les fondamentaux n'excluent pas l'expérimentation
hasardeuse. 

«Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es»
Non, ici, la farce dit plutôt ce que la semaine fut. 
Au porc haché, je mêle des reliefs de légumes vapeurs : 
courgettes, fenouils, oignons.

En même temps, l'oignon émincé régit en poêle le face à face 
du poivron et de la tomate que l'on mixera après cuisson.
Ou pas. Puis vient le moment de les farcir, à l'aide
d'outils improbables : une cuillère à moka, le manche
d'un couteau. Travail merveilleusement lent. Seize
fois répété avant disposition, nappage de sauce et de râpé
puis enfournement.

Quarante minutes de cuisson à four chaud suivies de dix minutes
de repos sur le plan de travail. On oubliera la préparation,
sa durée, son soin, on se régalera et on parlera. Si d'aventure
le repas se déroule le soir, on finira sur le canapé dans la
douceur de la conversation ou du spectacle partagé.

samedi 17 janvier 2015

A Feira da Ladra

Tu marches dans la ville
et Sainte Claire s'ouvre.

Le marché de la voleuse où
le cuivre s'échange contre 

des billets de couleurs plus
fades que celles des maisons

alentour. Déjeuneras-tu de
morue émiettée et de frites

aux œufs sur le lino vert et
blanc dune petite «casa da comida» ?

Je ne sais et je le sens, j'attends
tes photos et ta voix. Funambule, je

tendrai ma corde entre elles pour traquer
tes impressions qui déjà ne seront plus.

«-Falas português?» «-Um tanto?». Peu importe,
l'essentiel est dans les odeurs que tu fais

tiennes et dont tu ensemenceras la cuisine du
petit restaurant portuaire. Il me tarde que tu

m'en parles. Non : que tu nous en parles car nous
sommes un petit groupe qui souvent à toi pensons.

frais-fraîche, variations

1

Le frais e(s)t le fugace

Llacuna, ligne 4, au sortir
de la bouche du métro, une
bouffée d'air frais sur tes
joues. La journée commence,
tu remontes ton col avant
d'entrer d'un bond dans la
boulangerie Pi. Tu demandes
un croissant, comme d'habitude.
Il est tout frais, c'est à dire
qu'il est tiède et imbibe le
papier. Au café Pujol, le tiède
l'aura quitté, un sourire naîtra
sur tes lèvres, fugace.


2

Boire frais pour aller loin ?

La gourde est tiède, peu épaisse,
on la dit en peau de chèvre, elle
perd ses poils noirs et blancs, si
secs sous les doigts. Je dévisse
le bouchon de bakélite et soulève
la petite outre. Le vin rosé coule
gouleyant. Je ferme les yeux, la
referme et la range dans ma besace.
J'appuie sur la pédale droite, la
route sera longue et déjà le vin
n'est plus.


3

De la fraîche froissée par tes doigts

Tu as trouvé un sac de skaï noir sous
la banquette du RER, là où passe le tuyau
brûlant du chauffage. Le wagon est vide.
Sans le relever, tu glisses la main par
l'ouverture béante, ta main aveugle froisse
des papiers par dizaines. Tu reconnais leur
toucher duveteux et sonore : de la fraîche,
beaucoup. Trop ? Tu vérifies que personne
n'est entré et tu fourres le sac dans le tien,
sans le regarder. Ce n'est que chez toi, à l'abri,
que tu en dénombreras le contenu : mille sept cent
cinquante-cinq euros en billets usagés, froissés par
d'autres mains, tant de mains. Malhonnêtes aussi ?

vendredi 16 janvier 2015

Tornar al carrer / Retourner à la rue

Tornar al carrer,
al carrer sense nom,
al carrer qualsevol.

Però no pas a un carrer
qualsevol, veritable.
Tornar a un dels carrers

del passat compartit quan
les nostres sabates es fregaven.
Tornar-hi i sentir la remor dels

cotxes lents i la fredor del ventolí.
Aclucar els ulls i pronunciar el teu
nom, barcelonina d'uns dies.

***

Retourner à la rue,
à la rue sans nom,
à la rue quelconque.

Mais pas à une rue 
quelconque, véritable.
Retourner à l'une des rues

du passé partagé quand
nos souliers se frôlaient.
Y retourner et entendre la rumeur des

voitures lentes et la froidure de la brise.
Fermer les yeux et prononcer ton
prénom, Barcelonaise de quelques jours.

lundi 12 janvier 2015

À deux mains

À deux mains,
non celles que l'on croise
sur le ventre rassasié ni celles
qui assurent les genoux avant
de se lever.

Non : ta main et la mienne,
sa main et la sienne, nos mains
étreintes en foule mais deux à deux
pour préserver l'unicité des regards
et des paroles croisés.

À deux mains, la vie n'est pas facile, chacune
tire à hue et à dia et la paume se ride des blessures
passées. Doigts longs ou boudinés, les cinq enseignes
de l'intelligence peinent à se serrer sans s'écraser,
à s'étreindre sans jamais songer à s'éteindre.

Étends tes doigts, j'étends les miens. Nulle chapelle
Sixtine où le créateur insuffle la vie au futur abandonné.
Non, sens tout simplement la chaleur de mes cinq pulpes
et donne-moi la tienne. Je ne te connais pas, tu ne me connais
pas. Pas encore, crois-moi.

dimanche 11 janvier 2015

Écoute

à M.

«Écoute, écoute...», la foule rit
et le petit ne comprend pas ce que
dit Roger Nicolas. Le soir, il revoit
encore sa face de lune qui le poursuit
de ces deux mots incompréhensibles.

Son métier, plus tard, le conduira à 
écouter des voix diverses dans plusieurs
langues. Devant le miroir, il les répétera,
il se verra même en Billy Paul chuchotant
«When love is new».

Ce n'est que plus tard, beaucoup plus tard,
à l'invitation d'une amie, qu'il prendra 
conscience qu'il a beaucoup parlé et peu 
écouté, comme s'il avait eu peur que la parole
de l'autre, son frère, sa sœur, ne lui dévoile

l'ineffable du monde. Depuis, il tâtonne et
s'essaie à écrire non plus ses éternelles
marottes mais les objets et les mots de ses
contemporains, amis ou rencontres hasardeuses :
la route sera longue et la langue infinie.

samedi 10 janvier 2015

Quand...

Quand les veilleuses seront éteintes
sur les parvis et les trottoirs,
quand le noir des copies aura fané
et qu'elles auront rejoint les bennes
insatiables,

quand le prénom répété à pleins poumons
aura séché sur les lèvres de l'été et que
les abonnements promis remplaceront l'immuable
horloge du salon, alors le silence s'emplira
des pleurs de ceux qui aiment

ceux qui ne sont plus là. Mères, filles, frères
et amis. Pour eux, il n'y aura ni avant ni après,
seule la grisaille d'un jour fini avant que d'avoir
commencé. Et je ne pourrai même pas pleurer pour
celles et ceux dont j'ignorais le nom.

Coquelicots

J'aime les coquelicots,
jamais un coquelicot.

J'aime les voir peignés
par le vent, se courber

toujours ; et toujours se
relever d'une ondulation.

J'aime les sentir à pleins
poumons, eux qui jamais

ne sentent car ils sont le
tulle léger qui filtre l'odeur

de la vie. J'aime les coquelicots
car ils sont libres. Par milliers.

Comme toi, ils sont insaisissables,
et dessinables. Instantané de lavis

aussitôt croqué, aussitôt effacé. Et
l'aquarelle se mouille de tes pleurs.

NO ET CONEC DE RES / JE NE VOUS CONNAIS PAS

No et conec de res,
navegant per internet,
collí la teva foto, triada
per un amic. Rere les ulleres
fosques i la gorra de titi parisenc,
la humanitat, senzilla de pudor, única.

No et conec de res, ni et vull conèixer,
som millons, mils de millons, cares i ulls,
cames i braços, tots, o gairebé, amb un somriure
estimable per únic. Ens uneixen una voluntat i un
rebuig. Passaran els dies, la pluja mullarà les
nostres passes per les voreres. Serem lliures, saps?


***

Je ne vous connais pas,
en surfant sur la toile,
j'ai cueilli votre photo, choisie
par un ami. Derrière vos lunettes
fumées et votre casquette de titi parisien,
l'humanité, à la pudeur simple et unique.

Je ne vous connais pas ni ne veux vous connaître,
nous sommes des millions, des milliards, des visages et des yeux,
des jambes et des bras, tous, ou presque, avec un sourire
aimable car unique. Nous sommes unis par une volonté et un
refus. Les jours passeront, la pluie mouillera 
nos pas sur les trottoirs. Nous serons libres, vous savez ?

mardi 6 janvier 2015

Sable côtier

Aimes-tu le rivage, l'été, Sophie,
quand le silence se fait, au départ
des touristes et que le sable humide

avale tes pieds las ? La conversation
alors se pose et le soleil, jaloux de 
toi, jette ses derniers feux par dessus

le Quartier-Haut. Brassens et Valéry, chacun
dedans sa tombe, prennent le relais des cigales
et marmonnent en contrepoint. Fermant les yeux,

tu les imagines et les accompagnes d'un roulement
d'orteils dans une nuée de coquillages somnolents.
Que la ville est loin qui te guide l'hiver, avec

ses rues sonores et ses bars lumineux, et loin encore
est le bar de ton frère où je connus naguère d'un roman
autrefois anonyme tout un dévoilement. Mais de quel été

parlé-je ? De celui passé qu'avec toi je ne pus partager
ou de celui à venir qu'avec ton amour ensemble vous vivrez ?
Peu importe. Tu es là, si brune, et la mer devant toi se retire.

lundi 5 janvier 2015

Alice

Alice, sage et rebelle,
aux yeux clairs de noisette,
qui se perdent plus loin que
la jetée, m'accompagnerez-vous

un brin ce soir ? Non, ne sourcillez
pas. Certes, je vous suis inconnu, mais
vos quatre-vingt-trois printemps font
honte à l'hiver et le goudron de Sète

fond au zénith comme guimauve en bouche.
Les livres que recèle le bar de votre petit-
fils et les histoires que sait la fille de
votre chair ne sont rien face au monde que vous 

avez vu et que vous leur conterez à l'oreille,
doucement, lentement. Alice, moi non plus, je ne
vous connais pas mais j'envie votre famille unie
qui s'enrichit de descendre de votre regard de terre

claire.