dimanche 30 novembre 2014

Por ti

Te confesé que no conseguía escribir
en español. Un par de veces lo hice,
a petición de mi madre. No me gustó
nada.

Pero esta vez tengo que hacerlo, para
rendir homenaje a tu callada estima
y porque escribo "por" ti, día tras
día.

Se me ocurren sonidos estridentes, las
R de Ruiz y Roig. ¡Vaya ocurrencia!
Prefiero escuchar tu silencio, a mi
manera, y me callo.

Escalier

La cage est étroite,
fermée et lumineuse.
La nudité des pierres
rugueuses et claires
fait penser à une grotte
parallélépipédique. Au fur
et à mesure que je te suis,
je compte les portes aveugles,
larges, blindées. L'immeuble
est ancien et la cage toute
fraîche. On voit de ci de là
les poutres tranchées pour lui
faire passage. Que de vies 
abouchées à l'abîme d'un coup
de scie, un seul. L'ascension 
est lente. La diversité des teintes
ne trompe pas. Les portes qui se
succèdent sont identiques, cachant
le confort des appartements bourgeois.
L'ascension s'achève devant une porte 
plus petite, plus sombre aussi. La clé
tourne. Tu m'invites à entrer. Et d'un
coup je n'ai plus envie de décrire. Nous
sommes passés d'une coquille de l'être
à une autre, ineffable celle-là.

Rouge

Roig ou Vermell, en catalan,
mon cœur est dans l'entre-deux.

En français, il est rouge sang
artériel. Et s'il n'avait pas de nom,

ce serait un coquelicot. Depuis
les latins, le rouge et le jaune se

confondent comme le safran,
couleur de la robe des bonzes

et de la terre limoneuse. Rizières,
la boucle est bouclée. Non, s'il ne

pouvait être nommé, je voudrais pour
le rouge le battement de tes paupières.

Le cassoulet

C'est devenu un rituel. Chaque année,
au mois de novembre, quand l'automne
froidit - ce qui n'est plus vraiment
le cas depuis deux ans -,

je prépare le cassoulet pour mes enfants.
Je l'élabore comme une ascension en
montagne. Cinq heures de concentration.
Qui me verrait me trouverait risible :

un Tartarin de Tarascon des cuisines
qui reviendrait avec des bartavelles,
l'œil vif, la moustache frétillante.
Mais nous n'en sommes pas à mi-chemin

et je vous écris un œil sur mes faitouts,
comme pharmacienne sur son tiroir-caisse.
Le repas sera bref, arrosé et enjoué. 
Selon l'expression familiale, on se régalera

même s'ils le jugent moins bon que dans 
leurs souvenirs. J'aime la transgression, me
laisserai-je aller cette année à un second
exercice ? Pour mes grands restés loin.

Tables

Dans le Bar'à Lire, pas une table
ne ressemble à une autre. Carrées,

rectangulaires, en bois foncé ou en
formica clair, étroites ou amples,

elles vous accueilleront. Que vous 
soyez seul, en couple, ou à plusieurs.

Dans ce dernier cas, des chapelets de
tables se créeront et le bar s'éclairera

de vos - discrets - éclats de voix. Il en
est des tables comme des livres qui les

surmontent au hasard. Différents, opposés,
mais partageant une même intelligence de

la vie. Ou comme des mets qui s'y servent 
et varient de jour en jour. Ne vous attendez

pas à la porcelaine blanche d'assiettes infinies
à la nourriture chiche et insipide. Non, ici,

Rosana, originaire de Valparaíso, chantonne
intérieurement en composant une nourriture

familiale, roborative, qui a du caractère et
qui tient au corps sans n'y jamais peser. Les

assiettes débordent, ourlées de paprika. Aucune
ne ressemble à une autre. Comme il en est des tables.

Tes doigts, tes mains, mes digressions

De ton corps je ne parle pas,
tu ne le voudrais pas. Pourtant

je le fais à présent, peu, très peu,
je commence par les extrémités, rien

que de très marginal en somme. Quand
tu fumes, quand tu bois, je regarde

tes doigts. Les mains sont ma passion,
non le reflet d'une âme mais de mille

que nous recelons et, par leur entremise,
exprimons (je sens que tu souris, encore

une de mes digressions). Et là, curieusement,
je ne vais pas des mains aux doigts qui les

composent, mais à l'inverse. D'abord sont tes
doigts. De la main droite et, particulièrement,

l'index et le majeur cassés à la jointure (non,
t'inquiète, ce n'est pas du Picasso que je te

mime ; au pays du musée international des arts
modestes, ça ne manquerait pas de sel, MIAM !)

puis tes mains volubiles. Nos paroles contrastent,
tu retiens la tienne, je délie la mienne. Mais, toi,

tu parles par les mains, les yeux et le sourire.
Et puis par tes épaules dont je parlerai un jour. Ou pas.

samedi 29 novembre 2014

Tes trois grands-mères

« - Tu sais, j'ai trois grands-mères.»
Pour une fois je ne dis rien, je me tais,
venant de toi rien ne m'étonne.

Alors tu parles, avec amour et précision,
et je me force à oublier, un peu, ce que
tu dis pour pouvoir te le demander à

nouveau. Une ville se déploie devant mes
yeux avec ses pas de porte et ses enfants
nombreux. Des petits bonheurs qui naissent

du malheur. Les liens du sang et ceux du cœur,
ton sens de la famille que j'ai lu sur le visage
de ceux que tu aimes. Un jour, tout contre ta sœur

assise à la table qui jouxte le buffet, tu m'as dit
que toutes les femmes de ta famille étaient petites
en commençant par ta grand-mère. Laquelle ? (tu me

l'as dit plus tard mais je n'en dirai rien pour ne pas
faire de jalouses). Moment bref et que j'étire dans mon
souvenir pour retrouver un peu de ma famille sétoise où

les femmes non plus n'étaient pas grandes. Pour une fois, 
les livres n'étaient pas au premier rang, ils t'entouraient,
pages béantes qui blanchissaient peu à peu. On eût dit que

les lettres les quittaient pour de tes trois grands-mères 
ciseler le portrait en mots brefs et précis, comme toi seule
savais le faire. Alors si un jour je te le redemande, ne me crois

pas oublieux ou désinvolte, je voudrais tout simplement voir ton
visage s'éclairer à leur évocation et donner à ce lieu de rencontres
le sens du salon que ton frère, un midi, avec passion m'enseigna.

Une pile de livres

Le repas fini, les enfants jouent à côté,
Devant moi, une pile de livres en équilibre
instable. Les nouveaux venus voisinent avec 
les rescapés de la bibliothèque. Au dessus celui

que tu m'as offert et celui que tu m'as prêté.
Les livres ne parlent pas qui recèlent le monde ;
pourtant, sans le vouloir, ils me parlent de ceux
dont j'ai croisé la route, des temps et des lieux

où je les ai acquis, ouverts ou partagés. Pour m'en
faire mémoire, j'ai pris l'habitude de marquer leur
page, au hasard, d'un ticket de café ou d'un sous-bock,
taché de bière, si possible. J'examine alors longuement

le papier, le carton, le scrute, le hume, le fait glisser
entre le pouce et l'index comme un faussaire scrupuleux au
sortir de l'impression. Et je revis alors la fulgurance du
retour. Et si je ne lisais que pour mieux retrouver le passé ?

Pujar al nord / Monter dans le nord

Una meva amiga es decidí
a pujar al nord per a
practicar-hi una llengua
saborosa que l'estranyava

i apropar-se a la investigació
d'una forma distinta a la que
solia seguir. Deixà del vidre
la companyia i, per un temps,

de l'Ovidi l'amor. Foren tres
mesos de pluges y de tempesta
on no reconeixia el meu país.
A veure si, en tornar a Girona,

els farà un retrat dur i
força sorprenent. What about
Montpellier, Anna? - Oh, Montpellier,
it's something like England. Even worse.

***

Une de mes amis se décida
à monter dans le nord pour
y pratiquer une langue
savoureuse qui l'étonnait

et se rapprocher de la recherche
d'une façon différente de celle
qu'elle avait l'habitude de suivre. Elle laissa
du verre la compagnie et, pour un temps,

d'Ovidi l'amour. Ce furent trois
mois de pluies et de tempête
où je ne reconnaissais pas mon pays.
Voyons si, de retour à Gérone

elle leur fera un portrait dur
et assez saisissant. What about
Montpellier, Anna? - Oh, Montpellier,
it's something like England. Even worse.

Le projet

À l'heure où fleurissent les logiciels d'aide
à la conception de projets, j'aime laisser mon
portable et ma calculette et regarder l'autre 
dans les yeux. Le patron du Bar à Lire me plaît.

Dans sa façon de conduire son affaire, dans son 
indécision à l'heure de dessiner le projet. Tout
est ouvert. Dates, plages horaires fixées, vient
le moment de parler du contenu. Pour une première,

ce sera autour de mon recueil qui sortira d'ici peu,
non pour en tirer vanité mais pour proposer aux clients
un échange sur la petite fabrique des images, des mots
et puis des vers. Un deuxième café littéraire pourrait

être sur ce romancier qui a accompagné trente-cinq années
de ma vie et que l'on vient de couronner de la récompense
suprême. Les lignes tracées, le repas a lieu. Rosana a mitonné
des petits encornets farcis. Sa sauce est une tuerie. Le projet

est là.

Le patron du bar des H.

Il a le visage jovial d'un Michel Sardou qui aurait vieilli autrement. Sa voix est claire, doucereuse même quand il te frôle. Il dit qu'on ne travaille pas pour lui mais avec lui. Il sait que tu es bonne dans ta profession. Il te veut, cela se sent. Il se dit gentil, je n'en crois pas un mot. Manu dans son dos fume cigarette sur cigarette. Dans quelques temps il va renverser un peu de vin rosé sur la dalle de l'étroit bar. Il tapote sur son iphone. Il n'a rien de quelqu'un qui travaille avec. Je pense à mon père parlant de lutte des classes. Elle est toujours là, insidieuse et bien réelle. Le patron parle de sa mère qui travaille parfois avec lui. Elle aime aller chez le coiffeur une fois par semaine. Grand seigneur, il lui dit de piocher dans la caisse le nécessaire. Je me rends compte alors qu'il a un vrai air de Michel Boujenah. Comment devenir mère juive en dix leçons. Je ris intérieurement. Monfilsssss a dû en baver quand il était petit. Vous parlez de la gestion d'un bar, son esprit va vite, il sait où il va. Complexité de la personne humaine.

Amarguerittage

à A.

C'est ainsi qu'un ami me définit
deux souffles qui se croisent et
s'espèrent. Délice de l'absence
quand on la sait provisoire.

Entre-deux

Borges pensait au jaune et au noir
comme personne alors qu'aveugle il
ne pouvait les voir. N'y aurait-il
de vrai paradis que passé ?

La main de maman tenant la mienne
alors que nous allions au salon de 
thé prendre une part de tarte au flan. 
Tes yeux à l'angle du comptoir pendant 

qu'au dehors le déluge s'abat. J'aime 
l'entre-deux, l'entre deux êtres,
l'entre deux temps. Ce passé, lointain
ou récent, juste et délicat, le futur

incertain que le présent devine. Je tiens
devant moi les deux cartes à gratter que
tu as achetées hier, toi qui n'en achètes
jamais. Tu as ri quand tu as vu que je 

ne savais m'y prendre. Deux ASTRO dont j'ai
fait des marque-pages, l'un pour le roman de
Faïza Guène emprunté au Bar - le tien - l'autre
pour les Labyrinthes du vécu de Moles que

tu as trouvé au hasard de tes pas avant de me
le donner - le mien -. Toutes cases grattées,
avec des chiffres mirifiques - le tien - ou
dérisoires - le mien -, nous n'avons rien gagné,

nous avons tout raflé. Nos rires, le jeu des doigts
sur les cartons, la lecture appariée des qualités
censées nous définir. Tu serais intéressée et moi
endurant. Oui, mais pas dans les acceptions communes.

Dans celles que nous nous créons. Intéressée par tout 
ce qui passe alentour, endurant à l'heure de glaner
du monde les miettes signifiantes. Il n'y a pas de
hasard, dit-on - quand ça arrange -. Oui il y en a un,

deux, des milliers. Mais ce n'est que dans l'entre-
deux qu'il prend sens et saveur pour peu qu'on se laisse
guider ou qu'on le prenne à bras le corps. Alors d'objet
du désir ou de la crainte on devient sujet d'espoir et de

concorde.

Le bar des halles

La parenthèse refermée d'un sourire
sur un coin de comptoir, la conversation
reprend, digressive. Des détails s'imposent
dans les groupes accoudés. Les glaçons
teintent dans des verres à pied arc en ciel.
La fatigue ralentit la parole, les deux amis
ne s'en défient plus, ils en font un rempart
contre les habitudes et les attendus.
«Caminante no hay camino,
se hace camino al andar», les mots de 
Machado leur reviennent à tous deux. C'est en
cheminant qu'on trace sa route. Ils sont bien,
le temps n'a plus de prise et la séduction est
mirage. Des lectures partagées les unissent.
Un instant, elle parle avec le cafetier. De travail,
il se recule et apprend un langage neuf dans
leur bouche. Songe à s'en inspirer. Y renonce.
que belles sont les halles quand le rideau est tiré.

vendredi 28 novembre 2014

Passeurs de livres

J'aime vos livres disparates, cornés,
grisés par les doigts successifs,
parapet de mots serrés contre la fureur 
des éléments. Au dehors la houle, au
dedans, le hasard des rencontres.

"Le Soulier de satin" pour en tirer deux
lignes, "Kiffe kiffe demain" pour une
lecture urgente, sur le pouce, à la
désespérée. Le temps alors n'a pas de
prise et le café brûlant refroidit dans

la tasse. Changement de décor, la voiture
avance lentement sur le miroir des eaux,
la capitale sombre et le naufrage est doux.
Sur ton étagère, vingt-neuf livres serrés ;
deux nous réunissent dont l'un m'accompagne

à présent. L'errance l'avait placé entre tes 
mains, l'échange le place entre les miennes.
Pour quelques temps. Vous êtes des passeurs
de livres, initiateurs précieux, éternels
insatisfaits au service de l'unique et de

l'intemporel.

Six heures

Six heures approchent,
c'est la fin de la nuit.
Devançant le matin j'ai
avalé d'un trait ce café
brûlant qui porte mes visions.
Avec deux galettes, au chocolat.
L'électricité par deux fois, sous
la force du vent, s'en est allée
et je tiens préparé, auprès de moi,
ce biberon petit pour mon encore plus
petit. Six heures, juste disposition
des aiguilles. Midi coupé en deux,
promesse de zénith. Janus bifrons entre
le rire et les larmes. Horaire impossible
pour qui rentre tard des salles à musique
et des cafés à gin. Horaire de mort et de
vie. Promesse de l'aube de mon très cher
Romain Gary.

Ma liberté ?

Elle n'est pas au fronton
des républiques ni ne s'inspire
d'un visage adulé pour veiller,
narquoise, sur cette salle qui

dort, dans les mairies, entre deux
célébrations. Non, ma liberté est
ce qu'elle proclame et elle n'est
ni ne sera à moi en dépit d'un possessif

commode. Ma liberté n'a pas d'heure
ni de lieu même si elle a sa géographie
que je connais fort peu. Ma liberté ?
Petite, un sourire, une frange brune

et tout le reste n'est que littérature.

Rive

Du fleuve ou de l'étang,
fin trait de sable ou limon
vaseux, la rive fait de moi

un funambule entre deux mondes.
Je pense à mon enfant petit qui
ne la connaît pas encore, préparant

à l'eau-surprise, froide, épaisse et
salée. Le soleil alors jouera à cache-
cache avec ses yeux et, entre deux 

clignements, il verra ses futurs moi
courir en riant le long de cette rive
qui, ils le savent déjà, ouvre à la

liberté.

Rêve

J'ai rêvé de toi
puis me suis endormi,
je voulais laisser
l'inconscience avaler
ton portrait.

Quand je rêve de toi,
tu n'es pas là. Pour 
modérer mon rêve, en
endiguer le cours d'un
clignement

de cils. Alors je réserve
mon rêve, je lui donne des
parenthèses de drap et bien
malin celui qui s'y glisserait
et le découvrirait.

Vélo

Ni bicyclette, ni, pire,
vélocipède. Deux syllabes
qui signent l'adhésion.

La tienne, la mienne.
Les rues de Montpellier,
à toute heure. Les montées

soudaines qui essoufflent
et embuent, les descentes
subites qui éprouvent les

câbles fragiles et les patins
auxquels on se retient comme
le naufragé à sa bouée.

Ce secours de l'instant et de
l'envie. "-Attends, je viens,
d'un coup de vélo." Puis la

douceur de la plage, le sable 
chaud, couchés le long de cette

ombre gracile prête à tout moment
à repartir d'un simple coup de
pédale. La dynamo chante en courant

sur la roue. La lumière vacille, elle
naît de notre cœur qui bat la chamade
et se promet des virées, nouvelles et

infinies.

jeudi 27 novembre 2014

Myopies

La tienne, la mienne.
Refus de porter des
lunettes. Les arêtes
s'émoussent, l'espace
est de velours et le
souvenir prend d'autres
voies. La clémentine
acidulée rejoint le
tabac à rouler et les
suspensions de la Clio
couinent quand la portière
s'ouvre. Les myopes parlent-
ils plus bas ou au contraire
plus fort ? Alea jacta est.

Lido

Ni le cordon littoral
vénitien, ni les dancings
qui en prirent le nom.

Non, juste la bande étroite
de sable et d'alluvions qui
me conduira demain à Sète,

entre mer et étang. Je sais
qu'à l'approche de Saint-Clair,
je ralentirai la course, me

remémorant ce que je n'ai vécu,
ma grand-mère tirant les rats
à la carabine depuis sa «baraquette»,

mon arrière-grand-père portant monocle
pour s'en aller vendre son vin. Comme
toujours, je me garerai près de la criée,

pour humer les poissons et frissonner sous
le vol bas des goélands repus. J'écouterai
les voix et leurs éclats, je me ferai petit

comme quand, enfant, je mangeais sur le pouce
sur une plage où ton chanteur préféré rêvait
d'être enterré. Mais surtout, j'implorerai

Carco, Genet, Izzo et Pieyre de Mandiargues
pour qu'ils me donnent la force de parler dans ton
bar de l'honneur qu'en mourant un jour ils me transmirent.

Rue du Petit Scel

L'oreille vous trompe, vous ne trouverez
pas l'immeuble des Salins dans cette rue
étroite mais le souvenir d'un temps où
l'on rendait la justice petitement.

Lourd sceau de cuivre tiédissant au contact
de la cire, qui se souvient encore de la main
du greffier qui le tenait, scellant d'une
impression un litige rugueux dont seuls

les ans rendirent justice ? Le pavé y est
sonore et des pas menus y fixent la cité.
Non loin de là, Jacques Brel fut cet Emmerdeur
que tout le monde rêverait de rencontrer.

Souvent j'y passais, du temps que j'étudiais
puis enseignais. Un passage connu vers 
l'errance qui ne peut venir que bien après
minuit quand même les horloges ont peine

à bouger. L'autre jour j'ai failli m'y
engager puis, curieusement, je m'en suis
éloigné. Pour mieux le retrouver
ou pour mieux t'y inventer ?

L'ombre

à mon frère Alain.

J'aime l'ombre et je fuis le zénith
qui la recroqueville. En hiver, le
soleil paresseux l'étire et j'ai
l'illusion d'avoir grandi.

L'ombre efface le visage, le grain
de la peau, la boucle des cheveux,
mais accentue la démarche au point
que le théâtre d'ombres chinoises

s'en est fait une spécialité, plus
juste encore que le guignol lyonnais.
Un jour je ne serai plus mais, plus
encore que mon corps parti au vent

mauvais, c'est la disparition de mon
ombre qui me cause souci. Ainsi rien
de moins illusoire que cette expression
de «royaume des ombres», creuse et non avenue.

Le conservateur

Il marche d'un pas grave
à côté du journaliste qui
l'interroge. Son ton est
docte et son regard jamais
n'accroche celui du spectateur.

Les minutes passant, j'oublie qu'il
est le conservateur en chef des jardins
royaux de Copenhague. Son discours sur
le chiffre des monarques taillé dans le
buis m'ennuie. La perfection me désole.

Non, j'interroge plutôt son port et sa mise. 
Le col en pointe de sa chemise immaculée
est démodé et malgré le soleil au zénith
témoigne d'un repassage impeccable. Sur
le veston clair un pins ou un emblème.

Le reste n'apparaît pas, ou ne me marque pas.
Je songe au lever de cet homme, intimidé par
le rendez-vous du matin avec la presse étrangère.
Il s'est rasé, douché, je le vois assis au bord
de son lit, enfilant ses chaussettes, l'une après

l'autre, précautionneusement. Les fixe-chaussettes
n'existant plus, il lui faudra se contenter de limiter
les ridules de l'élastique sur le fil d'Écosse grenat.
Ses mains reposent sur les genoux. Il pense. La famille
dort encore. Qu'a-t-il fait de sa vie ? Et cette jeune

fille brune qu'il laissa partir un soir de 1977 dans un
pub près de l'université ? Il lui avait parlé de son amour
des jardins. Elle le regardait amusé. Lui, baissait les yeux.
Sans qu'il s'en rendît compte le son de sa voix déclinait au
gré de l'éclairage. Puis elle s'en fut, il ne la retint pas.

Diccionaris / Dictionnaires

Sempre m'han agradat els diccionaris.
Me'n comprí molts, de tota forma i tota
mida, fins i tot un dia me'n robí un
i ploraren mos pares.

A l'esquerra de la taula, dormint en uns
prestatges, em vetllen els deu volums de
l'Alcover vermell i, al dessota, els vint
del vell Littré blanc i morat.


Si bé els ensumo sovint, com per donar-me
força, ja no els faig servir. Els fullejo
a l'ordinador. En compte de pàgines senceres
són articles dispars que del món m'ofereixen

un calidoscopi viu.

***

J'ai toujours aimé les dictionnaires.
Je m'en suis acheté beaucoup, de toute forme et de toute
taille, et même, un jour, j'en ai volé un
et mes parents pleurèrent.

À gauche de la table, dormant sur
l'étagère, me veillent les dix volumes de
l'Alcover rouge et, dessous, les vingt
du vieux Littré blanc et violet.

S'il est vrai que je les hume souvent, comme pour en prendre
force, je ne m'en sers plus. Je les feuillette
sur mon ordinateur. En lieu et place de pages entières,
ce sont des articles  dissemblables qui du monde m'offrent 

un kaléidoscope vivant.

En liverté

"- Délivre ? Mais qui ou que veux-tu
que je délivre ?"

- Non, je te disais "Des livres", parce que
je les voyais partout où nos pas nous

menaient. Et ce que je prenais pour un
hasard bientôt fut certitude : les pages

des livres, pour toi étaient comme une
seconde peau, aux cicatrices de la vie.

"- Tu n'as rien compris, pourquoi cherches-tu
toujours à comprendre ? Je suis libre, je vais

où le soleil m'appelle et dans ma poche, sous
l'écran bleu est toujours un livre. C'est tout."

Xarranca / Marelle

Per a l'A. i l'O.

La primera vegada que els viu
junts fou en una foto. Portaven
ambdós ulleres i somreien 
a l'objectiu.

Passaren dies i nits; em feia de la
parella un retrat descompost, amb
fotos de l'una, moltes, i de l'altre,
poques.

Era com una xarranca de quadrats de
color per on buscava sentit al camí
de l'amor i un dia us trobí, casualment:
un mateix ser, per la distància

estimat.

***

Pour A. et O.

La première fois que je les vis
ensemble, ce fut sur une photo. Ils portaient
tous deux des lunettes et souriaient
à l'objectif.

Jours et nuits s'écoulèrent, je me faisais du
couple un portrait décomposé avec 
de photos de l'une -nombreuses-, ey de l'autre
-peu-.

C'était comme une marelle de carrés de
couleur où je cherchais un sens au chemin
de l'amour et un jour je vous trouvai, par hasard :
un même être, par la distance

aimé.

Bijoux

Tu ne portais pas de bijoux
et en refusais le présent,
alors nous partageâmes une 
grenade d'un seul coup de
couteau.

L'écorce était dure et tachée,
faite d'instantanés serrés d'une
vie de douleurs. Pourtant elle céda
d'un seul coup sous le fil de l'acier
tendre.

Au dedans, rangés comme en vitrine de 
la place Vendôme, étaient les gouttes
roses. Peau brillante, eau sucrée
qui collait aux doigts qui venaient
les cueillir.

Je ne t'offris rien, ni toi non plus,
nous fûmes millionnaires aux yeux couleur
rubis. L'improbable goûter achevé, nous
gardâmes des joyaux les mains par le 
sucre soudées.

mercredi 26 novembre 2014

Tes pieds et ton pas

Je ne connais pas tes pieds. 
Je connais ton pas, vif, menu, 
qui fait oublier le soulier qui
le guide. De nuit comme de jour.

La nuit, il fait halte dans un 
café ami dont tu as fait ton salon,
à ton cœur défendant. Et quand on
s'est attaché à ta parole juste,

il n'est déjà plus qui t'arrache 
et te confond dans la ville. Le jour,
il va de gare en gare, et patine l'acier
doux où dorment les express. Il pleut

ce soir, fort, et les cartes se mélangent.
Dans la pluie l'empreinte dure un instant
que le crépitement efface. Quand bien même,
je le voudrais, je ne pourrais le suivre

et le réinventer.

Tannka de la nit / Tanka de la nuit

Expectes la nit
com qui renèix de la cendre
i espera xerrar.

Segur? No ho sé i t'invento,
nova cara de la lluna.

***

Tu attends la nuit
comme qui des cendres renaît,
friand de paroles.

Pour sûr ? fuyante invention,
face nouvelle de lune.

Aimer le silence

Je pense à toi, en silence.
Je suspends mon souffle et
j'écoute ce silence où battent
tes paupières. Quand nous nous
rencontrons, je suis intarissable,
pour tromper l'émotion qui m'étreint.

Mais je t'avoue que maintenant, devant
ma table, c'est le silence que je recherche.
Ton silence, fin et savant. Sans miroir, 
je le mime et m'y complais. M'enseigneras-tu
à le former et à le prolonger ? Car ton silence
n'est ni creux, ni vide, il se gonfle de pensées

que je ne connais pas, que je ne veux pas connaître,
tant ta liberté m'est chère mais il est fait de lettres
de couleurs dont j'aimerais m'inspirer pour écrire ces
vers brefs qui, je le pressens, sont les seuls à même
de relater ton passage dans un lieu, léger et entêtant
comme le bois de santal entre deux feuilles de papier.

Joseph

«Il s'est cassé la joue»,
mais, S***, on ne se casse
pas la joue, la joue c'est tout mou.

«Il a neuf mois, c'est un vrai
casse-cou, il se l'est cassée, je
t'assure», mais, S***, les joues,

c'est pour les bisous, pas pour les
coups. «Sa joue est toute gonflée et
couronnée de bleu.» C'est toi qui as

raison. «Il grimpe partout et d'une chaise
est tombé». Pleurs, câlin dans tes bras,
le casse-cou s'endort et le monde est doux.

Il va être cinq heures et déjà Sainte-Anne 
te boit. Un petit bonhomme t'attend, tu cours 
vers lui et de ma vue soudain disparais.

Ta capuche

Place de la Préfecture,
il pleuvote, je m'adosse
à Gibert emplastiqué.

Tu arrives, d'un pas vif
et lent à la fois. Dans tes
bras, mon vieux parapluie.

Tu viens me le rendre. Après
sera le salon, nous ne le savons
pas. Je m'inquiète : et si la pluie

redoublait ? Tu ne parles pas et frôles
le col de ton manteau court gris
pailleté. Une capuche s'y tient prête,

son épaisseur m'invite, je n'ose la
déployer. Je pense à un ami qui, il y a
longtemps, dormait la nuit dans son kabic

et ne trouvait le sommeil qu'à l'abri de sa
capuche. Il avait les cheveux couleur des tiens.
Y parviendrais-tu ?, je n'ose te le demander.

Question saugrenue, nous marchons et oublions
la pluie fine. Je me suspends à ta voix qui m'épargne
les cahots. Plus tard, seul, dans une nuit sans heure,

je repenserai à ta capuche, à ton manteau posé sur une
chaise, oublieux de ton corps qui lui donna chaleur.
Mes doigts s'engourdiront et tes songes m'enlèveront.

mardi 25 novembre 2014

Le salon de thé

Anglais, comme il se doit,
secret et silencieux. La chaussée
glisse qui y mène. Thé brûlant au
gingembre. Les tasses s'entrechoquent,

Les langues de chat se taisent et se
regardent en chiens de faïence. Les
nôtres se délient. L'heure est belle
qui va de Barcelone à Lisbonne.

Je te regarde, je bégaie, mon assurance
ploie, la maîtresse des lieux me reprend
comme un nigaud. Je suis bien dans cette
ambiance étrange. L'es-tu, aussi, mon amie ?

La chaise haute

Ne vous méprenez pas,
cette chaise haute
n'accueille pas les
repas des enfants
attendris.

Elle est à l'angle
du comptoir d'un bar
où elle se tient, souvent,
son clavier sur le bois,
comme dans sa maison.

Tous l'y connaissent,
elle est connue de tous.
On la salue, quelques mots
partagés qui jamais ne la 
froissent.

De cette chaise haute, j'ai
fait hier l'expérience. Mais
son assise parfaite n'a pris
sens que quand S*** est apparue
et que nos mots,

étourdissant mirage, l'ont aussitôt
quittée pour faire, à sa titulaire
des soirs, comme un clin d'œil attendri,
d'un titre de Truffaut l'inoubliable
hommage.

El sopar / Le dîner

Érem quatre i la pluja queia.
Sopàvem d'un estofat amb regust
de samfaina. Beguérem molt però

no massa. Sortírem al balcó, el
fred, moll, us dibuivava, amics.
Foren hores llargues i saboroses.

Del sopar ja no ens recordàvem,
tot just pensàvem en la delícia
de l'hic et nunc justament compartit.

***

Nous étions quatre et la pluie tombait.
Nous dînâmes d'une daube au goût secret
de ratatouille. Nous bûmes beaucoup mais

jamais trop. Nous sortîmes au balcon, le
froid, humide, vous dessinait, mes amis.
Ce furent des heures longues et savoureuses.

Du dîner nous ne nous souvenions,
tout juste pensions-nous au délice
de l'hic et nunc justement partagé.

La promesse d'un vélo

La nuit n'avait plus d'heure
et la pluie tombait dru.

Il faisait bon sur les deux
canapés où nous devisions

comme si le temps, clément,
sur nous n'avait de prise.

Il te fallut partir pour ce
centre ancien où tu vis à

l'ombre d'un clocher. Tu me 
fis l'honneur de m'emprunter

ce vieux parapluie barcelonais
qui jamais ne me quitte en me

promettant de venir me le rendre
d'un coup de vélo, au terme du

matin. La pluie n'a pas cessé,
le vélo est incertain mais mes

yeux fatigués se l'imaginent
dans un beau cliquetis d'acier.

lundi 24 novembre 2014

Rouge à lèvres

Tu n'en portes pas
et tes lèvres suivent
la couleur du jour.

De la pâleur de l'aube
à l'incarnat de minuit.
Alors je l'imagine, ce

tube court, à la noirceur
brillante. Sous la transparence,
est la pointe rouge sang. Encore

vierge de tout contact. Je descelle
l'étui, tourne et hume. La pâte est
sombre et épaisse. Ça sent l'agrume

tendre et la baie insidieuse. Je résiste
à l'envie de le croquer. Il n'est que la
triste métonymie du cercle de tes paroles.

Alors je ferme les yeux et t'imagine devant
le miroir. Tu t'en pares et t'y abrites. Tes
lèvres, séductrices, ne t'appartiennent plus.

Elles clignent à la glace et à mon désir caché
et, comme pour mieux sceller la promesse de l'aube,
s'impriment sur le verre en ovale ridé. Ta main se

joint à l'empreinte et écrit en signes déliés :
«Je t'attends, tu viens ?». Mais le miroir déjà n'est 
plus et le rouge ne me laisse qu'une fragrance passée.

dimanche 23 novembre 2014

Cosir / Coudre

Veure i callar.
Beure i ballar.

La vida cus breus
instants i encreua

mirades i rialles,
sons i ploralles.

Quants horitzons
entre sol i sol

i quant de silenci
enmig de la nit.

Em desperto sense
aixecar-me ja i

lentament em poso
a cosir mots i sons

en memòria de les hores
que m'heu ofert, amics.

***

Voir et se taire.
Boire et danser.

La vie coud de brefs
instants et entrecroise

rires et regards,
sommes et pleurs.

Que d'horizons
d'un jour sur l'autre

et que de silence
au milieu de la nuit.

Je me réveille sans
me lever et

lentement je me mets
à coudre des mots et des sons

en mémoire des heures
que vous m'avez offertes, mes amis.

Arròs de la terra / Le riz de la terre

L'arròs de ma terra
és fet de blat cuit

i de trossets de carn
perduda. El de la teva

prové d'arrosals tendres
i molls. El safrà s'hi fon

com a memòria del sol llevantí
que mai pots oblidar, desterrada

a fosques terres septentrionals.

Me'n parles i l'espero, amb paciència,
com les nostres converses, sense acabar.

***

Le riz de ma terre
est fait de blé cuit

et de morceaux de viande
perdue. Celui de la tienne

provient de rizières tendres
et humides. Le safran s'y fond

en souvenir de soleil du Levant
dont tu ne saurais te défaire, dans ton exil

des terres sombres du Septentrion.

Tu m'en parles et je l'attends, patiemment,
ainsi que nos interminables conversations.

La fille des express

Une frange brune sur les yeux,
petite, délicieusement. L'accent 
métallique du zinc abandonné au 
petit matin.

L'épaule contre la paroi froide,
elle lit. Un volume mince, écorné,
tranche grisée par les doigts 
successifs. 

Des vers, un récit de vie ? Je ne 
sais, les cahots du train ne me
permettent de l'entrevoir. L'express
zèbre le sud, 

lanière de cuir rêche sur la robe
tendre d'une pouliche. Si elle était
une fleur, je la voudrais tulipe,
tulipe noire.

Converses al matí / Conversations du matin

Ens truquem, xerrem,
passen les hores.

Deixem un temps l'ara
i l'aquí per tornar-hi

després i parlar-ne 
excitadament. Discussions
necessàries. Reflexions

casuals i profundes. Som
distints i semblants. La

teva ment s'arrela en la
terra tèbia i grassa de 
l'Empordà, la meva en les

cales salades de Menorca.
«Què són els segles per la

mar», deien els grecs. No res
o gairebé. Tu i jo, ens apreciem.

***

Nous nous appelons, nous bavardons,
les heures passent.

Nous laissons un temps l'ici
et maintenant pour y revenir

ensuite et en parler
avec excitation. Des discussions 
nécessaires. Des réflexions

hasardeuses et profondes. Nous sommes
différents et semblables. Ton

esprit s'enracine dans la
terre tiède et grasse de
l'Ampurdan, le mien dans les

criques salées de Minorque
«Que sont les siècles pour la 
mer ?», disaient les Grecs. Rien
ou presque. Toi et moi, nous nous apprécions.

L'un dans l'autre

Un coup d'œil a suffi dans
l'allée d'un supermarché
pour abolir dix-huit mois
de silence et les renvoyer

à la musique première. Ils
sont comme vous et moi. Un
soupçon plus audacieux. Le
vertige s'installe, un 

rendez-vous est programmé,
l'attente, silencieuse,
insidieuse, les a nourris. Y 
effeuilleront-ils la marguerite ? 

samedi 22 novembre 2014

She's writing

Elle écrit, dans l'entredeux
d'un wagon bondé, sur son écran
petit. Une femme fait pareil

qui la regarde, elles se sourient.
Moment fugace d'humanité. Elles n'ont
rien à partager. Ou plutôt tout. Face

aux cristaux liquides envolés, elles sont
un peu de vie qui passe, un souffle, un
tremblement. Que sont-elles devenues ?

Je ne le sais ni ne le dis.

Un amic fa anys / C'est l'anniversaire d'un ami

Dos dies i un any
ens separen, ens uneixen.
Avui fas anys, amic Jaume.

Acompanyaràs ton fill petit
a l'atletisme, amb la mirada
perduda en una illa atlàntica?

Allí, a la Sant Andreu estimada,
et celebraran i et picaran l'ullet:
tranquil, papa, que avui no s'escriu!

***

Deux jours et un an
nous séparent, nous unissent.
C'est aujourd'hui ton anniversaire, cher Jaume.

Accompagneras-tu ton fils cadet
à l'athlétisme, le regard 
perdu sur une île atlantique ?

Là bas, dans ton cher Sant Andreu,
on te fêtera et on te fera un clin d'œil :
cool, papa, aujourd'hui on n'écrit pas !

La visita al teu pis / La visite de ton appartement

Em tarda, i a la vegada no.
Me'n repasso mentalment el
vídeo. Escolto ta veu,

divertida, en una llengua
que tan poc -massa poc?-
compartim. Et dirigeixes

a ta mare, a mil quilòmetres
estant. Se l'haurà repassat.
Soleta o amb les amigues.

Orgullosa de sa filla que va
pujar a un país fred i curiós.
Em tarda la visita al teu pis,

el gust del safrà refredat als
llavis mentre torno a ma ciutat
dormida.

***

Ça me tarde, et en même temps non.
Je m'en repasse mentalement la
vidéo. J'écoute ta voix,

amusée, dans une langue
que si peu -trop peu ?-
nous partageons. Tu t'adresses

à ta mère, à mille kilomètres
de là. Elle a dû se la repasser.
Toute seule ou avec ses amies.

Fière de sa fille qui est
montée dans un pays froid et curieux.
Il me tarde de visiter ton appartement

et le goût du safran refroidi sur mes 
lèvres cependant que je reviens à ma ville
endormie.

Rere el vidre entelat / Derrière la vitre embuée

Rere el vidre entelat,
el cansament s'esgota.

De la tarda i del matí,
no queda res. Tot just

la crispació de la mà
sobre els fulls repartits.

Com és que tanta gent,
expressament reunida,

s'hagi esvalotat en activitats
desproporcionades? Sí, com?

Rere el vidre entelat, endevino
el teu somriure. Domina l'or

de la samarreta, abrigat. El
selfie, en contrapicat, et dona

un aire superior i divertit.
Xuleges, presumida. Et pico l'ullet

i et deixo tornar a ton amor de vidre
que sap, com ningú, entelar els cristalls.

***

Derrière la vitre embuée,
la fatigue s'épuise.

De l'après-midi et du matin,
rien ne subsiste. Tout juste

la crispation de la main
sur les feuilles distribuées.

Comment se peut-il que tant de gens
expressément réunis,

se soient agités en activités
disproportionnées ? Oui, comment ?

Derrière la vitre embuée, je devine
ton sourire. L'or domine, celui

de ton polo, protégé. Le 
selfie, en contreplongée, te donne

un air supérieur et amusé.
Tu frimes, vaniteuse. Je te fais un clin d'œil

et te laisse retourner à ton amour en verre
qui sait, comme personne, embuer les carreaux.