vendredi 31 octobre 2014

Nou Nou N / Nouveau Neuf N(ovembre)

Diuen que els gats, tan diabòlicament
divins, tenen nou vides, saltant-se
la nostra, miserable. Fa trenta anys,
quan em passejava pel Carrer Nou de
Barcelona, no li veia res de ben nou.
Pudor de pixum, ombres malèvoles a la
nit, envellia el continent marítim.

Ritme ternari, homònims i homòfons ballant,
la novetat s'escriu hora rere hora. A Besiers,
no puc veure ben bé com avancen. Però l'endevino.
L'onze de novembre, seré a la ciutat tan estimada
i aniré al carrer dels Banys Nous. Per beure-hi
l'aigua lustral i llegir els nou somrissos d'una era
nova

***

On dit que les chats, si diaboliquement
divins, ont neuf vies, brûlant
la nôtre, misérable. Il y trente ans
quand je flânais dans la Rue Neuve de
Barcelone, je ne lui voyais rien de bien nouveau.
Puanteur de la pisse, ombres maléfiques dans la
nuit, le continent maritime vieilissait.

Rythme ternaire, homonymes et homophones dansant,
la nouveauté s'écrit heure après heure. À Béziers,
je ne vois pas vraiment comme ils avancent. Mais je le devine.
Le onze novembre, je serai dans la ville bien-aimée
et j'irai rue des Nouveaux Bains. Pour y boire
l'eau lustrale et lire les neuf sourires d'une ère
nouvelle.

Le funambule du caniveau

Sur une brindille, posée en équilibre,
il avance, insensible aux aléas de la
circulation. Le granit du rebord semble
inaltérable mais la brindille tangue.
Un souffle de vent ou le frôlement d'un
soulier suffiraient à la renverser ou à
la briser. L'insecte n'en a cure. Pour
lui, le monde existe peu, se limitant à
la pitance qu'il traque sans relâche.
Beatus ille... À deux mètres de là, un
homme va de porte en porte, essayant de
vendre un calendrier pour les sans abri.
Regard vide, peau boursouflée. Tristis iste...

jeudi 30 octobre 2014

Mes fils

La page blanche m'aveugle, les forces
m'abandonnent, je ne sais plus écrire,
Je ne sais que vivre. Vivre le détail
comme un univers ; les écouter, les encourager.

Je n'en ai jamais préféré aucun. Et cependant,
ils ne sont pas un tout, mais des individus,
indépendants apparentés. Aussi aimé-je les avoir
en tête-à tête mais aussi en groupe. Les différences

d'âge s'affranchissent, un même rire les unit. Je disparais
alors et les écoute, faisant, comme en cet instant même, où
je bois un trait glacé du Jägermeister qu'ils m'offrirent au
retour de l'Andorre où ils tutoyèrent les sommets.

Comme des pas sur la plage

Comme des pas sur la plage aperçus
avant que de disparaître sous le vent
ou le reflux, mes vers sont lus puis
s'effacent brusquement. Crissement de

silice, grésillement de micro. Je pense
à ces enfants qui s'essaient à mettre leurs
pas dans mes empreintes sablonneuses comme
ils le font, chez eux, avec les chaussures

de maman. Se trouve-t-il un regard, de l'autre
côté de la mer ou du miroir, dans une ville
atlantique, qui fasse siens mes vers et y ajuste
son souffle ? Pantoufle de vair, ou de verre, que

devient alors mon mètre et sa vision de myope sur
un quotidien humble et étroit et qui cependant me
sied plus que bombance à un ministre intègre ?

mercredi 29 octobre 2014

HIC ET NUNC

Je ne crois ni aux lieux ni aux espaces,
je ne crois qu'à l'avoir lieu et aux
espaces-temps. Et quand je vois un café,
je l'imagine la nuit venue, porte close.

Ce matin, dans la lumière laiteuse de Béziers,
j'imagine le Bar à Lire de Sète où je fus naguère.
Dans l'entre-deux. Après le coup de feu de midi,
fourneaux éteints. L'odeur des mets partagés

flotte encore, se mêlant aux vents coulis qui apportent
la rumeur du port. Je suis assis dans l'encoignure,
un volume ouvert entre le pouce et l'index. C'est un
vieux livre, imprimé sur papier bouffant. Il y est

question d'un port et de gens interlopes, je crois y
reconnaître la main de Carco, mais suis trop fatigué
pour m'en assurer. Je laisse les lignes danser, je me
penche sur la page et en fait ma plage. Supplique pour

y être enterré.

Le Bar'à Lire

Prenez la Grand-rue serrée entre deux rangées
de murs défraîchis et laissez divaguer votre esprit
jusqu'à buter sur une ancienne boulangerie aux
stores repliés. Poussez la porte de verre. Fort
Car elle racle puis laissez-vous gagner par les
odeurs d'épices et de ragoût. Résistez à l'envie
de fermer les yeux pour les mieux savourer.
Décillez-les au contraire et faites votre miel
des livres pêle-mêle. Choisissez une table
au hasard. Asseyez-vous et écoutez. La mer,
la mer toujours recommencée dans les pas
de Brassens. On mange large et bien comme
chez soi, autrefois. Rosanna est au fourneaux
qui attendrit les viandes et Sophie abat les murs
de son pas léger. L'opulence fait de l'assiette un
plat. Nul formalisme. Ici la table est franche,
les produits bien choisis. Si l'heure ne vous taquine,
accompagnez le café fort de mignardises maison.
Et riez, surtout, riez de Mallarmé qui écrivait :
«La chair est triste et j'ai lu tous les livres.»
Ici la chair exulte et les livres sont à lire.

lundi 27 octobre 2014

Une coquille

Sage, immobile sur la nappe
triste, la mer est loin. Où est
l'autre valve sa jumelle et puis

la chair iodée qui, un jour lui donna
vie ? Qu'importe. C'est Hadrien qui
m'en fit présent hier, sur la plage des

Mouettes, entre Vendres et Valras. Depuis,
elle veille sur mes livres et guide ma main.
Que sont les siècles pour une coquille jolie ?


Daltabaix fruïtiu / Plongeon jouissif

No tinc sentit de comarques
i m'agraden els oxímorons.

Per a mi, l'Empordà es viu
tot d'una peça, de dalt a baix.

Del Portús ben sec als arrossars
de Pals, alenteixo la marxa. M'entren

olors perdudes : el bestiar silenciós,
l'oreig delicadament iodat. I a dalt dels

campanars, onegen les estelades noves com
una brúixola per al passejant curiós.

***

Je n'ai pas l'esprit de cantons
et j'aime les oxymores.

Pour moi, l'Ampurdan se vit
d'un seul tenant, de haut en bas.

Du Perthus bien sec aux rizières
de Pals, je ralentis la marche. Je suis envahi

par des odeurs perdues : les bêtes silencieuses,
la brise délicatement iodée. Et en haut des

clochers, flottent des bannières neuves, étoilées,
comme une boussole pour le promeneur curieux.

dimanche 26 octobre 2014

Sous-bocks

Une main amie m'envoie
de Lille un sous-bock
frappé d'un nom singulier,
"Queue de charrue".

Négligeant les encyclopédies,
je laisse divaguer l'esprit.
Je connais ses quatre doigts
qui en maintiennent le rond

- où est le cinquième ? - mais
ignore tout de la bière qui y
reposa un temps, imbibant le
carton imprimé de son ambre

amère. Le pub lillois est loin
et l'amie qui l'y accompagna
tranche la France d'un éclair
bleu et gris. Silence de l'offrande,

clin d'œil de l'amatrice de marque-pages
qui sait que je rythme la longue durée
de tickets de caisses entre les pages
d'un livre comme autrefois faisait

ma grand-mère avec des fleurs séchées.
Son sous-bock jamais ne s'insérera entre
les pages aimées mais ma pupille s'en marque
à jamais et ma main qui vous écris

en cet instant précis, vous en fait la promesse,
il sautille, dans mon esprit, d'un livre à
l'autre de ma bibliothèque chérie : Apollinaire,
Stendhal, Montaigne, Lorca et Vinyoli.


Misteris / Mystères

Callar-se i mirar, tractar d'entendre.
L'altre dia a Perpinyà, se'm revelava
la Gerda Taro davant de la càmera
de Stein.

Ara mateix, el diari m'ofereix la "Maddalena
in estasi" del Caravaggio. Intemporalitat de la
humanitat, fascinació per la dona. Espantat
per l'"Ecce homo (vir)" cristic,

reivindico no un sinó uns quants "Ecce mulieres",
els primers dels quals, als meus ulls cansats d'octubre,
són la Gerda i la Magdalena, tan delicadament humanes.
I misterioses.

***

Se taire et regarder, essayer de comprendre.
L'autre jour à Perpignan, j'eus la révélation de
Gerda Taro devant l'appareil photographique
de Stein.

Et maintenant voici que mon journal m'offre "Maddalena 
in estasi"  du Caravage. Intemporalité de
l'humanité, fascination pour la femme. Effrayé
par l'"Ecce homo (vir)" christique,

je revendique non pas un mais plusieurs "Ecce mulieres",
dont les premiers sont, pour mes yeux fatigués d'octobre,
Gerda et Madeleine, si délicatement humaines
et mystérieuses




Doux oiseau - 2

«Le dîner fini, je sortis
de l'hôtel et m'assis à une
terrasse du bord de mer.
La conscience aiguisée,
peu à peu,
je sentis,
affûté,
le couteau de boucher qui
faisait des entailles
de plus en plus profondes
dans mon dos. J'eus tout juste le temps
- dans la chute soudaine et le bris
de mon verre-tulipe - de voir
le doux oiseau de la jeunesse,
glouton,
picorant la petite cerise de mon cocktail."

Esteve Miralles, Comme si tu avais le temps, traduit du catalan par M. Bourret Guasteví

2

«Va ser ben sopat. Vaig sortir
de l’hotel i vaig seure en una
terrassa vora mar.
Amb una precisa consciència
vaig anar
sentint,
esmolat,
el ganivet de carnisser com m’anava
fent talls
cada cop més profunds
a l’esquena. I vaig tenir encara el temps just
—se’m va tombar i se’m va trencar
la copa de tulipa— de veure el dolç
ocell de la joventut,
golut,
picotejant la cirereta del meu gímlet.»

Changement d'heure

La brume n'est plus que j'avais imaginée,
ses larges nappes froides et humides, ma
marche hasardeuse dans la garrigue nue.

Le volet me découvre un ciel doré et l'ombre
nette des meubles de jardin rangés. Il est
huit heures. L'horloge avancée cette nuit

déconcerte et appelle la promenade au zénith.
Avec mon fils petit, appareil en bandoulière,
nous longerons la chapelle de Saint-Christol,

au large de Nissan. Pinèdes, amandiers et mon
sud magnétique vers la Catalogne aimée. Le soleil
déclinera vite et nous goûterons sur le pouce.

samedi 25 octobre 2014

Capvespre indi / Soir indien

Per al Didier i els amics palafrugellencs

El fil de l'horitzó s'aprimava
rere el far, xerràvem sense tenir
consciència del temps que degotava.

Ens hauríem pogut quedar fins a la nit dels
temps, tèbia, fosqueta. Mes els estudiants,
frívols i profunds, volgueren baixar a la costa

i viure-hi el capvespre amb la remor del mar que
s'amaina. Foren hores senzilles i càlides. A casa
dels pares davant del finestral daurat me'n recordo

i somric.

***

Pour Didier et nos amis de Palafrugell

Le fil de l'horizon s'amincissait
derrière le phare, nous bavardions sans nulle
conscience du temps qui s'égrenait.

Nous aurions pu rester jusqu'au bout de la nuit des
temps, tiède, sombre à souhait. Mais les étudiants,
frivoles et profonds, voulurent descendre sur la côte

et y vivre la tombée du soir dans le bruit de la mer qui
s'apaise. Ce furent des heures simples et chaleureuses. Chez
mes parents, devant la large baie dorée je m'en souviens

et souris.

jeudi 23 octobre 2014

Une boîte à outils

Étroite, fermant mal, elle repose
au bas du placard de l'entrée.

La famille n'est pas bricoleuse
et la boîte s'ennuie. J'en soulève

le couvercle sombre. Sous mes doigts,
le fer rouillé voisine avec le bois

râpé. Des outils fins, comme de fantaisie.
Des outils qui proviennent pour la plupart

du coffret du petit ébéniste que mon frère
reçut une nuit de Noël. Parlant de mon frère,

le voici d'ailleurs qui s'essaie à régler la
pédale du vélo d'appartement. Elle tourne comme

un moulinet de pêche au gros. "Veux-tu que l'on
fasse un essai ?", lance-t-il comme un défi à

notre père cependant que notre mère enseigne à son
petit-fils l'art patient et envoûtant de la soupe

à l'oseille. Notre père se juche. Ses beaux yeux bleus
se plissent, l'outil écarté, la course peut commencer et

moi, heureux, de fredonner "À bicyclette...". À bicyclette,
oui, mais sans Paulette !

Del vidre a la sorra, de la sorra al vidre / Du verre au sable, du sable au verre

Una copa plena a vessar de cava gelat.
La mà es mou, parla i no s'aixeca.

Comencen a caure les bombolles dorades
la sang blanca de la vinya a les estovalles

i, després, a la sorra que les beu. Brilla
la platja sota la lluna plena i penso en

la màgia de la sorra en fusió, del silici
en foc, de la temperatura de mort que dóna

vida, que dóna vidre. La meva infantesa és
el vidre bufat en les botigues fosques de

la platja de Dunkerque. Queia el sol i veiem
el món a través de les peces de vidre lluminoses

i calentetes. Ara encara, quan els meus dits
cansats freguen la fredor d'una finestra, hi penso

i ho visc.

***

Une flûte pleine à ras bords de mousseux glacé.
La main bouge, parle et ne se lève pas.

Les bulles dorées commencent à tomber,
le sang blanc de la vigne sur la nappe

et, ensuite, sur le sable qui les boit. La plage
brille sous la pleine lune et je pense à la

magie du sable en fusion, du silicium
en feu, de la température de mort qui donne

vie, qui donne verre. Mon enfance, ce sont
les souffleurs de verre dans les boutiques obscures

de la plage de Dunkerque. Le soleil se couchait et nous voyions
le monde à travers les pièces de verre lumineuses

et toutes chaudes. Maintenant encore, quand mes doigts
fatigués frôlent la froideur d'une fenêtre, j'y pense

et le revis.

Gerda Taro

Elle dort, ou feint de dormir,
sous l'œil de Stein. Le drap
du matin embaume qui se confond

avec le pyjama d'homme dont elle
s'est vêtue au coucher. Ses jambes
appellent la caresse légère d'une

main dégantée. Ironie du sort, elles
forment une demi svastika, annonciatrice
du fer de Brunete qui nous la volera.


Una lectora / Une lectrice

a Anna

No sé quantes persones es passen minuts
o hores llegint les meves poesies. Em sabrien
greu que fossin nombroses i es passessin més
del temps d'un ullet amistós.

Però ja sé que entre elles hi ha una amiga nova,
investigadora brillant, amiga dels vidres de colors
i dels bons vidriers. A vegades, li pico l'ullet

i li escric alguns versos com el prestidigitador
es treu un peix de platja de sa butxaca d'or per

ensenyar-lo als ulls de la canalla estupefacta.

***

Je ne sais pas combien de gens passent des minutes
ou des heures à lire mes poésie. Il me déplairait
qu'ils fussent nombreux et y passassent plus 
du temps d'un clin d'œil amical.

Mais je sais que parmi eux se trouve une nouvelle amie,
brillante chercheuse, amie des verres de couleurs
et des bons vitriers. Quelquefois je lui fais un clin d'œil

et lui écris quelques vers comme le prestidigitateur
tire un poisson frais de sa poche d'ou pour en faire

l'offrande aux yeux des enfants ébahis.

Le séjour à Figuères

Il sera bref, quelques heures à peine.
Ils seront trois et déambuleront dans
les rues ventées. Un café sur la Rambla,
les journaux qui se froissent. Le repas,
à deux heures pétantes, les tiendra à la
Pamsa, ce restaurant connu et aimé de la
famille, depuis dix ans au moins.
Ils reviendront au cœur de l'après-midi,
l'estomac lourd de joues de porc avec
des pieds paquets. Est-il de joie plus vive ?

Deux frères

La jeunesse est loin que le jeu enguirlandait,
l'âge adulte leur a pris le temps, en coupe
réglée. Ce sont à présent des hommes que

l'on juge importants. L'ordre pourtant se
fendille que l'on croyait d'airain. Il y eut
d'abord le bout de fougasse chapardé

à la mère, en deux bouchées, puis l'image
du père traversant le couloir sombre dans
un train ralenti, derrière la lampe bistre.

Mais déjà ils se saluent et le sommeil
bienveillant les abîme, leur promettant
de demain l'escapade d'un jour.

Ton sourire sur le drap

L'étroit canapé où le rhume t'a conduite
est dans la pénombre. Sur le rouge sombre

du L, un drap clair, négligemment jeté. Tu dors,
en chien de fusil. Tu ne bouges pas, je me penche.

Comme sur ces photos anciennes injustement
retraitées, contraste et luminosité s'affadissent

et bavouillent. Ton sourire serein tranche la nuit,
rappelant la marche pressée dans les rues

crépusculaires. Que j'aimerais que le sommeil
me quitte tout à fait et me tienne à ton côté,

admirateur silencieux, vieil homme de ta vie,
que le blanc de l'aube n'a pas encore endormi.

mardi 21 octobre 2014

Philosophie

à mon père, que je serre contre moi.

"Il y a plus de philosophie
dans un litre de vin que dans
tous les livres du monde",

aurait écrit le grand Pasteur.
"- Eh bien, il devait en tenir
une de bonne", répliquait mon père,

toujours friand de bons mots. Ma vie
a été guidée par sa philosophie hors des
chapelles et je laisse le reste aux
fraudeurs et aux non-imposables.

À mon grand fils, Vincent

Il est toujours là et jamais ne me quitte,
pourtant j'écris peu pour lui. Alors aujourd'hui,
à cinq heures quarante de nous revoir dans l'antique
cafétéria, je lui dédie ces mots. Les livres que par

milliers il feuillette, la nuit déploient leurs ailes
de papier, pour faire rêver les messieurs et les midinettes,
mieux que ne feraient les revues sur papier glacé.

Lui, bien mieux que les autres, le sait qui, au pied des Alpes,
à des élèves amusés transmet une bonne nouvelle qui les fait

sourire un peu et puis longuement rêver.

Do-RE-MI-fa-sol-la-si-do

Comme l'amande tendre jaillit
de dessous la bogue amère, la gamme
s'est équeutée en ses bouts pour révéler
deux notes qu'elle a appariées en un prénom :

Rémi. La tête dans les étoiles, les mains
dans le cambouis des automobiles, il rêve
sa vie en musique. Âge tendre qui forcit,
bientôt c'est lui qui t'épaulera, en deux tons.

Insomnies

Je vis avec mes insomnies,
elles m'accompagnent et
renforcent ma vie.

Le matin déjà haut me
révèle que, toi non plus,
tu ne dormais pas, dans la

froideur de la lune crue,
blanche comme la vérité,
étalant ses stigmates

comme autant de cicatrices
de vie. Tu m'as relu, moi qui
te lis et te relis encore.

Vingt-cinq années en une page,
à l'écriture serrée. Le sommeil
qui aujourd'hui te quitte,

demain reviendra. Il sera alors
temps de fendre la pistache et de
sourire à la lune neuve, rosissante

et jolie.

Marelle

De la terre au ciel,
il n'y a pas dix pas,
à cloche-pied, c'est 
plus rigolo. Tes mains
s'équilibrent, ton sourire
se crispe. Plus que deux sauts
et tu y seras. Nul Saint Pierre
là-haut. Le bon Dieu n'a rien à
faire de nos peines, alors laissons
le en dehors de tout ça et dans mon
ciel à moi ça sent la mandarine et
le bon chocolat.

lundi 20 octobre 2014

Tornar a la llengua estimada / Revenir à la langue aimée

M'agrada passar hores escrivint
en francès, ma llengua materna,
on visc i treballo, estimo i dormo.

Algunes vegades m'hi obligo, demorant
l'hora de tornar a mon estimada, aquella
llengua que m'he feta amb manlleus

de veus que sempre m'acompanyen. M'hi
trobo amb l'avi Quicus i el conco
Gumersind. Xerrem més enllà de la mort

que, cruel, un dia, me'ls va robar.

***

J'aime passer des heures à écrire
en français, ma langue maternelle,
où je vis et travaille,  j'aime et je dors.

Parfois, je m'y contrains, retardant
l'heure de revenir à mon aimée, cette
langue que je me suis faite avec des emprunts

de voix qui toujours m'accompagnent. J'y
retrouve mon grand-père François et mon grand-oncle
Gumersind. Nous conversons au-delà de la mort

qui, cruelle, un jour me les ravit.

Nuit et distance

La nuit, la distance n'est plus.
Il suffit de quelques mots tapotés
et elle s'évanouit, les sourires
parlent au creux de l'oreille.

La nuit, la distance est plus. Le lit
est froid et la conscience, un temps
émoussée, s'aiguise. Silence incisif
qui bourdonne à l'oreille.

La nuit, tes paroles font naître mes
écrits. Ta langue commande ma main et
les mots viennent dans un torrent
retenu et aussitôt offert.

Mon ange

Gardienne de mes nuits
sans sommeil, mon ange
m'a parlé, après le plaisir

et ma fatigue s'en est allée.
Je me suis levé pour m'en aller
la chercher, parmi les mots

que le silence m'offrait. Harmonie
complice, sérénité puissante, que
le monde est petit qui tient

dans une poignée de draps serrés
avant de s'ouvrir à la ville lumière
au pavé sonore et accueillant.

Le parfum et l'odeur

Ton parfum m'environne
et à chaque mouvement,
ses effluves me sont
un océan.

Ton odeur se cache, elle
s'y dissimule, insensible
à mon nez aguerri. Alors
je me l'invente,

Je la recherche dans chaque
geste de tes mains ou bien
chaque baiser, l'obscurité
qui vient me la dessine

enfin.

dimanche 19 octobre 2014

Aquella llengua tan clara / Cette langue si claire

Aquella llengua d'un poble,
d'una nació, l'assaboreixo
des de petit. No és res de
l'altre món. És ben bé d'aquest,

entre mar i muntanya. La parlaren
mos avantpassats que guien mos passos
per l'arc de la vida. La parlen
mos amics i la parlaran llurs fills.

Aquella llengua és tan clara que si fos
Narcís, m'hi hauria abismat sense pensar-ho.
Siguin nens, al·lots o mainatges, la canalla
la fa servir i l'enriqueix. No morirà. Si ho volem.

***

Cette langue d'un peuple, d'une nation, 
je la savoure depuis mon plus jeune âge. 
Rien d'extraordinaire, rien que de l'ordinaire,
mais bien à nous,

entre mer et montagne. Elle fut parlée
par mes aïeux qui guident mes pas
sur l'arc de la vie. Elle est parlée
par mes amis et sera parlée par leurs fils.

Cette langue est si claire que si j'étais
Narcisse, je m'y serais abîmé sans y penser.
Gamins, gosses ou petits, les enfants
l'utilisent et l'enrichissent. Elle ne mourra pas. Si nous le voulons.

Pénombre

La lumière s'efface, les voici
l'un à l'autre. Paroles croisées,
chuchotées. Les gestes sont mesurés.

N'était l'heure qui les surveille, on
les croirait hors du temps et hors saison.
Ils sont bien et ne le disent. Les sujets

s'égrènent sans qu'on n'y prenne garde, la
pénombre a tout envahi et le canapé a perdu
sa couleur sang, ou lie de vin, je ne sais plus.

Leurs traits se confondent et leurs parfums se
mêlent. Pas un geste plus haut que l'autre.
Froissement sage des étoffes oubliées. Il est l'heure.

Nuit de Champagne

Le Champagne s'est tu et les bulles
ne montent plus. Silence de la nuit
glacée. Une lueur dorée te rappelle

la soirée. La pièce était petite et tes
pensées s'envolaient. La flute était un
doigt de fée pour écarter les vents

mauvais et tu faisais de chaque bulle
une boule de destinée avant qu'elle
n'éclate à la surface, comme ton rire

un temps enivré. Douze degrés, huit
centilitres, données brutes, rien qui ne
vaille face à l'imagination.

lundi 13 octobre 2014

Doux oiseau - 1

L'après-midi s'effiloche sur la mer
et, noyée, y flotte à la dérive, pourrissant.
Les deux serveurs chargés de la terrasse
se tiennent droit,
ils attendent,
tenant leur plateau, les mains croisées,
contre leurs fesses : comme deux boucliers
sans bataille ou deux miroirs, brillants,
sur le point d'être présentés à la dame
vieille qui vient (après-midi finissante) de se lever.

Sur l'eau, l'après-midi pourrissante a formé
une tache de jours perdus. Le soleil
vient de faire son dernier effort et le 1er serveur en a profité
(en faisant tinter son plateau) pour envoyer un message en morse
à la patrouille de la côte. Le message dit :
"Ne cherchez plus, c'est moi qui l'ai tué."

Le 2e serveur présente son miroir à la vieille
dame et la dame frissonne. Le 2e serveur
affûte un coupe-papier (il dissoud le cyanure
dans un verre de Xérès) et, suivant ses instructions,
le lui sert au lit d'amours (il l'égorge), non sans lui
avoir donné le temps de se maquiller.

"Ne cherchez plus", répète
le 1er serveur ", c'est moi qui l'ai tué."

Esteve Miralles, Comme si tu avais le temps, traduit du catalan par M. Bourret Guasteví

***

La tarda cau a trossos sobre el mar
i, ofegada, hi sura a la deriva, s’hi podreix.
Els dos cambrers que atenen la terrassa
s’estan drets,
esperen,
i sostenen les plates, mans creuades,
contra el cul: com dos
escuts sense batalla o dos miralls, lluents,
a punt per ser presentats a la dama
vella que s’acaba (tarda-vespre) de llevar.

Sobre l’aigua, la tarda podrida ha format
una taca de dies perduts. El sol
ha fet l’últim esforç i el Cambrer 1 l’ha apro­fitat
(movent la seva plata) per enviar un missatge en morse
a la patrulla costanera. El missatge diu:
«No el busqueu més, el vaig matar jo.»

El Cambrer 2 li presenta el mirall a la vella
dama i la dama s’esgarrifa. El Cambrer 2
esmola un obrecar­tes (dissol el cianur
en un xerès) i, seguint instruccions d’ella,
l’hi serveix al llit d’amors (la degolla), després
d’haver-li donat temps de maquillar-se.

«No el busqueu més», repeteix
el Cambrer 1, «el vaig matar jo.»

El tast de les paraules / Le goût des mots

A vegades, els diccionaris ens menten,
amb rara crueltat. Com un meteorologista
que no obriria les ventanes al cel mogut.

Llegeixo a l'instant al Rodamots: "XERRAR:
Parlar molt i sense substància". No ho vull

creure. Xerrar, al contrari, és la sal de la
vida. Mentre escoltes, assaboreixes la veu de

la persona que et confia la seva amistat, tendresa,
o casualitat d'una trobada, i t'insufla l'alè de sa vida.

***

Parfois, les dictionnaires nous mentent,
avec une rare cruauté. Comme un météorologiste
qui n'ouvrirait pas ses fenêtres sur le ciel perturbé.

Je lis à l'instant, sur Rodamots : "BAVARDER :
Parler beaucoup et sans consistance". Je ne veux

pas y croire. Bavarder est, au contraire, le sel de la
vie. Cependant que tu écoutes, tu savoures la voix de

la personne qui te confie son amitié, tendresse,
ou le hasard d'une rencontre, et te donne le souffle de sa vie.

Despertar-se / Se réveiller

Despertar-se al matí,
ben tard, amb gana.

Baixar, obrir el Facebook,
ajudar una amic, buscar-te

entre les notícies. Somriure
perquè ja sé que quan em llegeixis

likeràs. Aixecar-se de la taula. Preparar
l'esmorzar i deixar que entri la vida a ca meva.

***

Se réveiller au matin,
bien tard, la faim au ventre.

Descendre, ouvrir Facebook,
aider un ami, te rechercher

entre les nouvelles. Sourire
parce que je sais que quand tu me liras

tu likeras. Se lever de la table. Préparer
le petit-déjeuner et laisser entrer la vie chez moi.

dimanche 12 octobre 2014

Cafés

Quand je suis seul, j'aime aller dans les cafés, m'asseoir et regarder. 
Derrière une tasse brûlante que je sirote jusqu'au marc glacé. Les heures
passent, je m'en moque. Je prends une revanche sur le temps qui m'a volé
mon grand-père adoré. Je regarde le jeu du garçon courbé, rougi par l'effort,
et qui feint de savourer des anecdotes mille fois répétées. Les rires ponctuent
l'échange. Les sourires déchirent les visages détruits par la vie et la boisson
d'où surnagent les dents orphelines en un memento mori banalisé. Pourtant,
j'aimerais parfois être l'un deux, rire pareillement à gorge déployée, la main
serrant les pièces de cuivre comme jetons de casino. J'oublie que, quand la nuit
viendra, le rideau tiré, ils regagneront les bouges silencieux où Dieu tremble devant
la laideur de son œuvre. La musique file, les bouteilles se débouchent, un flipper
mime la roue de l'humaine existence. En trois coups. Je suis bien, le savez-vous ?

Aquella llengua tan clara

Així en parlava mon oncle quan
deixava el rossellonès del quotidià
per retrobar el maonès de la infantesa

rere un català literari on buscava amb
rara paciència les arrels occitanes. Morí
un diumenge de la primavera del 70

deixant-me com a sàvia herència la
promesa frustrada d'un viatge a Barna
i uns poemaris preciosos.

No sabia res, passaren els anys, em costà
molt. Sense dir-ho, unes quantes vegades
plorí, pensant que mai ho aconseguiria.

I un dia, fa molts anys, a Barcelona, sa Barna
estimada, deixí córrer aquella llengua tan clara
que encara avui assaboreixo com un peix de platja.

La plage

La plage est loin et déjà les couleurs
se fanent. C'est le soir des comptoirs,
les cuivres tintent, la bière embaume.

Le spectacle des allées, affadi par le
crépuscule, perd pied au profit de la
salle. Dans mes chaussures, le sable

crisse et, sans que nul s'en doute, je
joue avec mes orteils à mimer cette
promenade qui ne fut pas et dont je

rêve. Le vent d'octobre efface les pas
des baigneurs, ici je ne le sens pas
mais le perçois en fermant les yeux.

Pourquoi faut-il, A***, que ton visage
le supplante, et me laisse désemparé
face à la lueur jaune du bock ?

Je souris. Tu n'y es pour rien. C'est la
fantaisie d'un poète du dimanche qui,
sous bien des aspects, est un fieffé gredin.

La ben formosa / La toute belle

Ha deixat obertes les finestres al món.
Ulls foscos i aguts. Silenci de l'observació.
Veu i mira. No jutja.

Sa cara és clara i només es mou quan defensa
un punt que li fa nosa. Llavors parlen per ella
tots els avantpassats, que li fan confiança.

A Perpinyà, li dirien manyaga. Jo la veig bella,
i, més aviat, formosa, ja que inspira la forma
dels meus versos quan la nit es vesteix de vellut.

***

Elle a laissé ouvertes deux fenêtres sur le monde.
Ce sont ses yeux sombres et vifs. Silence de l'observation.
Elle voit et regarde. Elle ne juge pas.

Son visage est clair et ne bouge que quand elle défend
un point qui la chagrine. Alors, par elle, s'expriment
tous ses aïeux, qui lui font confiance.

À Perpignan, on la dirait mignonne. Moi je la trouve belle,
toute belle, plus précisément, puisqu'elle inspire tous
mes vers quand la nuit se revêt de velours.

Tanka de tardor / Tanka d'automne

La pluja ha cessat,
s'entelen els vidres fins,
tarda de diumenge.

Lleugeresa dels teus passos.
Ja no parles. En què penses?

***

La pluie a cessé,
et les verres fins s'embuent,
c'est l'après-midi.

Légèreté de tes pas.
Tu ne parles plus. Tu penses ?

Dues imatges, un mateix amor / Deux images, un même amour

a mon pare

El teu pare fa anys, el meu pateix
molt. El teu et somriu més enllà de
la distància, el meu em parla a l'orella.

Quant d'amor en dues persones tan distintes,
no sé res d'ells. Del teu pare, sembla normal.
Del meu, en canvi, és increïble. Mai ens hem dit

que ens estimàvem. O tan poques vegades, i en
veu baixa. Fa mesos que el començo a conèixer.
Per fi. I se m'obren uns mons dolços i profunds.

***

à mon père

C'est l'anniversaire de ton père, le mien souffre
beaucoup. Le tien te sourit par delà 
la distance, le mien me parle à l'oreille.

Que d'amour en deux êtres si différents,
je ne sais rien d'eux. De ton père, cela semble normal.
Du mien, par contre, c'est  incroyable. On ne s'est jamais dit

qu'on s'aimait. Ou si peu souvent, et à voix basse.
Ça fait des mois que je commence à le connaître.
Enfin. Et voici que s'ouvrent à moi des mondes doux et profonds.

Una parella amb ulleres / Un couple à lunettes

Dos somriures, una mateixa
direcció. Rostres inclinats,
plàcids. La pluja s'ha aturat
i, rere els arbres, blanqueja.
el cel. Un instant? No, una estona
de pau i d'amor. Què són els segles
per a la mar?

***

Deux sourires, une même
direction. Visages penchés,
placides. La pluie a cessé
et, derrière les arbres, le ciel
blanchit. Un instant ? Non, un moment
de paix et d'amour. Que sont les siècles
pour la mer ?

samedi 11 octobre 2014

Cafè per a tots / Café pour tous

Mai m'ha agradat aquesta expressió
desvirtuada per uns autèntics feixistes
disfressats de demòcrates. M'estimo millor

el cafè per a cadascú. I, encara més, el tast
que en conserven la llengua i els llavis
desprès de beure'l. S'aboleix el temps, reviu

el passat amb l'amada, real o imaginari. Miro
la tassa al costat meu, buida amb traces lleugeres,
en assaboreixo el tast i et trobo a faltar.

***

Je n'ai jamais aimé cette expression
dénaturée par d'authentiques fascistes
déguisés en démocrates. Je lui préfère

celle du café pour chacun. Et, encore plus, le goût
que conservent la langue et les lèvres
après l'avoir bu. Le temps s'abolit, le passé

avec l'être aimé revit, qu'il soit réel ou imaginaire.
Je regarde la tasse à côté de moi, vide avec de légères traces,
j'en savoure le goût. Tu me manques.

Exercice de langue

Pour A***

«- J'écume les mers et je vais sans relâche,
qui suis-je ?». Tu me regardes, les yeux ronds,
ma question te surprend.

«- Eh bien : le chalutier aveugle.» Et moi de t'inventer
une histoire à dormir debout, dans la lointaine
Terre Neuve, avec des hommes en ciré jaune

et des embruns glacés. Une histoire interminable où,
baissant progressivement la voix, je t'accompagne
dans le sommeil renaissant, avant de te border.

Un vaso de leche tibia

La mare volia que escrigués en castellà. Com un repte, per fer-li il·lusió. No ho aconseguia. Les hores passades me'n van donar l'ocasió.

Luchaba por conciliar el sueño
y no lo conciliaba.

Luchaba con el colchón espeso,
bañado en sudor. Medio dormido,

el padre sufría. Me acerqué para
ayudarlo, apaciguándolo con la voz.

No lo conseguía. Entonces se me ocurrió
invertir los papeles, hacer como hacía él

cuando, pequeño, me invadían lúgubres
pesadillas. Le serví un vaso de leche tibia

con una cucharita de miel. Hablamos. No sé
si me oyó, pero, con una sonrisa, se durmió.

vendredi 10 octobre 2014

Sense / Sans

Escriure sense repte, en total llibertat,
deixar córrer la ploma i fer de l'absència
el ferment de nou versos.

Pensar en les hores compartides, les imatges
creuades, la força dels mots desconeguts que
es freguen d'una llengua a l'altra.

Viure com si res. Com si res hagués existit i
dormir-se lentament, els ulls en un arc de Sant
Martí aparegut de sobte al bell mig de la foscor.

***

Écrire sans défi, en totale liberté,
laisser courir la plume et faire de l'absence
le ferment de neuf vers.

Penser aux heures partagées, aux images
échangées, à la force des mots inconnus qui
se frôlent d'une langue à l'autre.

Vivre comme si de rien n'était. Comme si rien n'avait existé 
et s'endormir lentement, les yeux dans un arc-en-ciel
apparu soudain au beau milieu de l'obscurité.

Lluna plena / Pleine lune

No deixa de ploure.
Els carrers, sense llum,
són rius de tinta negra,
gelada. Plora el cel, i
jo amb ell. Et busco, no
et deixo de buscar, estimada.
Camino amb rapidesa, moll fins
als genolls. Caic. M'aixeco i
reprenc la cursa a l'atzar.
Rere la doble cortina de la pluja
i de les ulleres entelades, entreveig
la lluna plena, rodona, fosca. Penso
en la taronja resseca que Guillaume
Apollinaire guardava a la butxaca del
seu abric, record dels dies d'amor
passats amb la Lou. Però, ara, la lluna
s'ha fet molla, i grossa, mira el món
i ja no el reconeix. Serem bastant forts
per alleugerir la seva pena? Dóna'm la mà,
ho aconseguirem.

***

Il ne cesse de pleuvoir.
Les rues, sans lumière,
sont des fleuves d'encre noire,
gelée. Le ciel pleure et je pleure
avec lui. Je te cherche, je ne
cesse de te chercher, amour.
Je marche rapidement, trempé
jusqu'aux genoux. Je tombe. Je me relève et
je reprends ma course au hasard des rues.
Derrière le double rideau de la pluie
et de mes lunettes embuées, j'entrevois
la pleine lune, ronde, sombre. Je pense
à l'orange desséchée que Guillaume
Apollinaire gardait dans la poche
de son manteau, en souvenir des jours
d'amour passés avec sa Lou. Mais, maintenant, la lune
s'est détrempée et, grosse, regarde le monde
qu'elle ne reconnaît plus. Serons-nous assez forts
pour alléger sa peine ? Donne-moi la main,
nous y arriverons.

(et une chanson)

Un merle au bec jaune
nous ravage la terrasse
il vient quand il voit le soleil se coucher
quand il pressent que l'après-midi s'évanouit
il cherche des racines, il cherche et cherche encore
et il griffe les racines
et il mange nos fraises
et nous emmerle le sol immaculé
et le feu brûle
brûle et meurt
des cent dix-sept raccourcis
il n'y en a aucun qui mène à bon port
et tu es là et je ne veux le voir
et le feu brûle et devient cendre
le feu brûle
et je dois bouger et je ne bouge pas

il y a un merle qui nous rend visite
un merle au bec jaune
et tu étais là et je t'avais
si près
(si près)
de ce feu
du feu qui brûle
qui ne nous attend pas
qui brûle seul
et se fatigue seul
qui mange les fraises
qui nous cherche
qui nous trouve

(viens, va, déshabille-toi)


Esteve Miralles, Comme si tu avais le temps, traduit du catalan par M. Bourret Guasteví


(i una cançó)

una merla de bec groc
ens esguerra la terrassa
ve quan veu que cau el sol
quan pressent que es fon la tarda
busca arrels, busca i rebusca
i esgarrinxa les arrels
i se’ns menja les maduixes
i ens emmerla el terra net
i el foc crema
crema i mor
de les cent disset dreceres
no n’hi ha cap que dugui enlloc
i tu hi ets i no ho vull veure
i el foc crema i es fa cendra
crema el foc
i he de moure’m i no em moc

hi ha una merla que ens visita
una merla de bec groc
i tu hi eres i et tenia
tan
a prop
(tant)
d’aquest foc
del foc que crema
que no ens espera
que crema sol
i es cansa sol
i que es menja les maduixes
i que ens busca
i que ens troba

(vine, va, treu-te la roba)

Rere el taulell / Derrière le comptoir

Espai prohibit
als clients,
m'hi moc com
a casa.

Tinc divuit mesos
i m'agafa mon avi
sense deixar de
somriure'm.

Al taulell, una
punta de cigar,
un Voltigeur
vert

mig mastegat. Ens
sentim orgullosos,
tenim tot el temps
del món.

Han passat anys, molts,
mai massa, i no
recordo l'olor ni el tast
dels Voltigeurs

fumats. Tancaren el cafè
Continental. N'hi obriren
un altre amb el nom de
la Pau.

Hi aní, m'hi avorrí, una
vegada, dues ; després deixí
d'anar-hi. Quant et trobo
a faltar, mon avi!

***

Espace interdit
aux clients,
je m'y déplace
comme chez moi.

J'ai dix-huit mois
et mon pépé me tient
sans cesser de
me sourire.

Sur le comptoir, le 
bout d'un cigare,
un Voltigeur
vert

mâchouillé. Nous
sommes fiers,
nous avons le temps
devant nous.

Des années ont passé, beaucoup,
jamais trop, et 
je ne me rappelle ni l'odeur ni le goût
des Voltigeurs

fumés. On a fermé le café
Continental. On en a ouvert
un autre du nom de
la Paix.

J'y suis allé. Je m'y suis ennuyé, une
fois, deux fois ; puis j'ai cessé
d'y aller. Ah, comme tu me manques,
Pépé !


El pont dels teus braços / Le pont de tes bras

He deixat al meu costat els poemes
del Ferrater i em poso a observar
l'entorn càlid del mig matí.

A uns metres corre l'aigua per sota
el pont estret. Verda, freda. Oblido
la passarel·la de ferro i penso en els teus

braços. Entrevistos, desitjats i callats.
Els imagino amb l'olor de la terra i del
blat madur. Me'n faria un pont per cadascú

dels dies d'una tardor amb gust d'estiu
indi i m'hi passejaria, bevent el món sencer
per a fer-te una ressenya de flors i gespa.

***

J'ai laissé à côté de moi les poèmes
de Gabriel Ferrater et je me mets à observer
les alentours chaleureux de ce milieu de matinée.

À quelques mètres de moi, l'eau coule sous
le pont étroit. Verde, froide. J'oublie
la passerelle de fer et je pense à tes

bras. Entrevus, désirés et tus.
Je les imagine embaumant la terre
et le blé mûr. Je m'en ferais bien un pont pour chacune

des journées d'un automne au goût d'été
indien et je m'y promènerais, buvant le monde entier
pour t'en faire récit de fleurs et d'herbe rase.


jeudi 9 octobre 2014

Dolor i delícia / Douleur et délice

Patia un dolor immens després de la mort
de son amic. No pas perquè pensava en el
patiment d'E*** ni en la seva pròpia tristesa,

sinó en el dolor físic dels seus fills que
no podien anar al llit sense pensar en el
pare adorat i que ja no hi era. Un dolor

amarg, àcid, blau i fred, que els impedia
dormir. Llavors pensà en una cosa que els
pogués alliberar, per petita que fos. Res

de l'altre món. Un plaer, un gust. Un tast
de vi dolç al capvespre mentre xerraven amb
el pare. Anà a llur casa i els oferí una

ampolla de cristall fi amb dos gots menuts.
Begueren els tres i se n'anaren al llit,
tranquils, per primera vegada. Renaixia la

vida.

***


Il souffrait d'une douleur immense après la mort
de son ami. Non pas parce qu'il pensait
à la souffrance d'E*** ni à sa propre tristesse 

mais à la douleur physique de ses enfants qui
ne pouvaient se coucher sans penser à leur
père adoré et qui n'était plus là. Une douleur

amère, acide, bleue et froide, qui leur empêchait
de dormir. Alors il pensa à une chose qui
pourrait les libérer, pour aussi petite qu'elle fût. Rien

d'extraordinaire. Un plaisir, une saveur. Un goût
de vin doux à la tombée du soir cependant qu'ils discutaient
avec leur père. Il alla chez eux et leur offrit une

bouteille de cristal avec deux petits verres.
Ils burent tous trois et allèrent se coucher,
tranquille, pour la première fois. La vie reprenait

son cours.

(neuf)

Tu sens que quand une femme meurt,
la mort est incomplète :
la femme meurt, sans que meure
le lien.

Et tu sens l'odeur de l'herbe fraîche,
et le froid de ce mois de février,
et le soleil fait de tous ces jours
de deuil.

Quand une femme meurt,
vert de cyprès, blanc cassé
du marbre,
ciel bleu.

Des milliers d'araignées, des chiens, des vers, des chats,
des milliers de grammes de poussière bien balayée :

ge-nêt.

Esteve MirallesComme si tu avais le temps, traduit du catalan par M. Bourret Guasteví

(nou)

Sents que quan una dona mor,
la mort és incompleta;
la dona mor, no mor
el vincle.

I sents l’olor de l’aigua d’herbes,
i el fred d’aquest febrer,
i el sol que ha fet tots aquests dies
de dol.

Quan una dona mor,
verd de xiprers, blanc-groc
del marbre,
cel blau.

Milers d’aranyes, gossos, cuques, gats,
milers de grams de pols ben escombrats:

gi-nes-ta

mercredi 8 octobre 2014

La por al fracàs / La peur de l'échec

A   A***

Mai havia fracassat. Deien d'ell que era un vencedor.
Per això pensava que el seu nom de Víctor ja era tot
un programa, una mena d'àngel de la guàrdia.

Però en el fons, no n'estava tan segur, de ser un
guanyador. Serè, imponent. Un capvespre se l'apropà
una noia prima, estrangera amb fort accent d'Europa

de l'Est. Parlava amb dificultat. Ell no sabia si
buscava el seu camí o el sentit de sa vida. Un segon,
ella el mirà als ulls. Fou un llampec. Una cosa que

mai havia sentit. I, al punt, el victoriós deixà de
ser-ho. Començà a tremolar, buscà les seves paraules,
fins i tot parlà amb accent polonès, ell que no coneixia

aquella llengua. S'havia enamorat. De sobte, sense
adonar-se'n. Tampoc ella se n'havia adonat i la por
al fracàs l'envaí. I per primera vegada, fou... humà.


***


À   A***

Il n'avait jamais connu l'échec. On disait de lui que c'était un vainqueur.
C'est pour cela qu'il pensait que son prénom de Victor était déjà tout
un programme, une sorte d'ange gardien.

Mais, dans le fond, il n'était pas si sûr d'être un
gagnant. Serein, imposant. Un soir, une jeune fille
élégante s'approcha de lui. Étrangère avec un fort accent de l'Europe

de l'Est. Elle parlait avec difficulté. Il ne savait si elle
cherchait son chemin ou un sens à sa vie. Une seconde,
elle le regarda dans les yeux. Ce fut un éclair. Une chose

qu'il n'avait jamais ressentie. Et, soudain, le victorieux cessa
de l'être. Il commença à trembler, il chercha ses paroles,
il parla même avec l'accent polonais, lui qui ne connaissait pas

cette langue. Il était tombé amoureux. Soudain, sans
s'en rendre compte. Elle, non plus, ne s'en était pas rendu compte et la peur
de l'échec l'envahit. Et, pour la première fois, il fut... humain.

mardi 7 octobre 2014

À l'OIGNON GIVRÉ

Elle est penchée et découpe
une quiche en portions, son
visage rougi est épuisé, et
pourtant elle sourit en
proposant d'autres mets.

Mon ami prend une portion,
je l'imite. L'échange dure peu
et déjà les salades nous appellent.
Je ne la reverrai pas, ou presque,
son service fini, sac à l'épaule,

elle échangera deux ou trois mots
avec une convive puis disparaîtra.
Le repas délicieux nous absorbera
et, des femmes à la poésie, nous
sauterons le pas. Un projet éditorial

prend forme sur un modèle économique
neuf que le restaurant inspire. Qui est-
elle, elle qui n'est plus, que la ville
empoussiérée a bue. Je ne le sais, ni le
saurai. Qu'importe, elle fut !

lundi 6 octobre 2014

(huit)

Quelle sérénité. Mais pas d'erreur !
Tu n'es pas tranquille parce que tout va bien.
Tu es tranquille parce que tu vois que tout est perdu.
Viendra un moment où tu retrouveras
la possibilité de voir
l'avion s'envoler et te sauver

Tu ne veux plus rester dans cette île;
Il y fait chaud et très humide.
Tu ne sais où est le nord, tu n'as ni aimant ni boussole
et le soir venu tu ne te rappelles pas où le soleil s'est couché.

Tu n'es pas un courageux serein, ni un pleutre
sympathique.

Et tu ne fais pas rire.

Esteve Miralles, Comme si tu avais le temps, traduit du catalan par M. Bourret Guasteví

(vuit)

Tanta serenitat. No t’equivoquis.
No estàs tranquil perquè ja tot funciona.
Estàs tranquil perquè ho veus tot perdut.
Vindrà un moment que tornaràs a veure
la possibilitat d’aconseguir
que l’avió s’enlairi i et rescati.

No vols quedar-t’hi més en aquesta illa;
hi fa calor i hi fa molta humitat.
No saps on tens el nord, no tens imants ni brúixoles
i al vespre no recordes per on s’ha post el sol.

No ets un valent serè, ni ets un covard
simpàtic.

I no fas riure.

Éric


Les dents du bonheur, d'un bonheur offert
sans idée de retour. La générosité. Une présence
souriante en marge de la faculté. En tenue de sport
ou revenant des courses, le congé ne l'empêchait jamais
d'échanger deux ou trois mots. Je l'ai longtemps appelé
Monsieur Blanquer. Il n'a jamais su pourquoi. Et pourtant
il avait travaillé dans l'abattage dont ses ancêtres tannaient
les peaux.

Alors je le faisais parler de la terre de ces mêmes ancêtres
dont il avait gardé le goût du riz safrané pris en commun,
du long voyage pour y parvenir. Quand il en revenait, on en
prenait pour de longs mois de vacances en sourire. Il était
simple et profond. Son analyse de la vie et de la politique
était fine et humaine. Moi qui parle beaucoup, je me taisais,
je laissais sa voix envahir l'espace trop haut, trop minéral
de notre centre. Je ne connaissais rien. Il savait, sans m'écraser

de ses connaissances, me révéler les entrailles du bâtiment,
le réseau d'eau, la chaufferie. Un jour il me proposa de monter
sur le toit. Le vent soufflait, j'avoue avoir refusé, je l'admirais.
Il était né la même année que mon frère,cela nous rapprochait. Je n'ai
pas pris le temps de le connaître ni de me rapprocher de sa famille qu'il
aimait tant et dont il était fier. La poignée de main de Jérôme, une fin
d'après-midi du mois de septembre dernier, me rappela sa franchise et sa
chaleur. La même discrétion, la même efficacité bienveillante qui nous
manquent déjà et dont je sais qu'elles se prolongeront.




dimanche 5 octobre 2014

ECCE MULIER : ton corps au matin

La fatigue de la veille s'en est allée
avec le parfum de lavande des draps frais.
Tu dors, nuque brisée contre le lin froissé.

Au dehors, des coups de feu sporadiques rappellent
l'automne. Des hommes en bottes battent la nature
brumeuse. Tu es nue, respires à peine, ton corps est

pâle qui repousse l'Histoire de quelques heures ou,
peut-être, de quelques minutes. Je me penche et te
respire. Je ferme les yeux pour mieux te revoir.

Nous fûmes unis peau à peau, souffle à souffle, t'en
souvient-il dans ton sommeil profond ? Il n'importe.
Dehors, quand les chasseurs s'en seront allés, le laboureur

entamera la glaise froide de son soc inclément. Silence du
labour, suspens de la vie circulaire, déjà mes paupières
m'engluent. Je me couche à ton côté et te rejoins. Enfin.

(sept)

Tous ces appareils
de légiste,
toutes ces chambres
réfrigérées, toutes
les fermetures
hermétiques, tous les rapports
écrits
et archivés, tout le secret
avec lequel tu as impulsé et soutenu
ce projet.

C'est une réussite brillante, dont nul ne pourra
te féliciter. Ça a été un plan parfait.

Avec un hic. Tout
ce boulot
pour conserver des cadavres ne
te permet plus de te consacrer à rien d'autre.

(une autre autopsie
te le confirmera à nouveau :
de les comprendre
et de les bien connaître ne les fait pas revivre.)

Il te faut tout vider.

Esteve Miralles, Comme si tu avais le temps, traduit du catalan par M. Bourret Guasteví

(set)

Tots aquells aparells
forènsics,
totes les cambres
refrigerades, totes
les tanques
hermètiques, tots els informes
escrits
i arxivats, tot el secret
amb què has creat i sostingut
aquest projecte.

És un èxit brillant, que ningú no podrà
celebrar-te. Ha estat un pla perfecte.

Amb una pega. Que tota
aquesta feinada
per conservar cadàvers ja no
et permet dedicar-te a res més.

(Una altra autòpsia
et tornarà a confirmar el mateix:
ni entendre’ls
ni coneixe’ls bé no els fa reviure.)

Has de buidar-ho tot.

vendredi 3 octobre 2014

(six)

Vous regardiez vos pieds et toutes deux vous portiez
des chaussures grises. Vous regardiez
vos jambes
et toutes deux vous les aviez tendues. Vous sentiez
votre cœur
battre comme s'il était simplet,
et vous le regardiez projeté
au milieu de l'air,
comme une tache de lumière.
Et il ne s'est pas mis à pleuvoir.

Le pianiste
sent que la vie meurt
et que la musique
s'échappe.

Esteve Miralles, Comme si tu avais le temps, traduit du catalan par M. Bourret Guasteví

(sis)

Us miràveu els peus i tots dos dúieu
sabates grises. Us miràveu
les cames
i tots dos les teníeu estirades. Us sentíeu
el cor
bategar com si fos ximple,
i el miràveu projectat
al mig de l’aire, com
una taca de llum.
I no es va posar a ploure.

El pianista
sent que la vida mor
i que la música
s’escapa.

jeudi 2 octobre 2014

El bar de la corba / Le bar du virage

La cantonada no és pas le coin de la rue
i els bars tebis de les cantonades barcelonines
moren sota les arestes dures del casc antic de Montpeller .

M'agraden més els bars de les corbes com aquell on solem
anar amb l'amic Rémi i ses companyes. Hi serveixen cervesa
gelada amb trumfes bullides i allioli. Dempeus, rere el taulell,

la cambrera juga amb els colors de les begudes i, fora, el cambrer
sembla un capità de poc recorregut que ven el plaer per un grapat de
pessetes. Li falten el lloret i la cama de fusta perquè sigui complert

el retrat d'un paisatge enyorat per no viscut. Les hores hi són fugaces
i la il·lusió duradora. Si passeu per sa corba, pujant a la ciutat, hi
trobareu gent càlida amb qui passar una bona estona

***

Le coin de la rue n'est pas le même en Catalogne et en France
et les bars tièdes des coins de rue barcelonais
meurent sous les arêtes dures de l'Écusson de Montpellier.

J'aime mieux les bars des virages comme celui où nous avons  l'habitude
d'aller avec mon ami Rémi et ses copines. On y sert de la bière
glacée et de la grenaille bouillie à l'ailloli. Debout, derrière le comptoir,

la serveuse joue avec les couleurs des boissons et au dehors le serveur
a l'air d'un capitaine au court cours qui vend du plaisir pour une poignée
de piécettes. Il ne lui manque plus que le perroquet et la jambe de bois pour compléter

ce paysage regretté car non vécu. Les heures y passent comme l'éclair
et le plaisir y est durable. Si vous passez dans ce virage en montant à la ville,
vous y trouverez des gens chaleureux avec qui passer un bon moment.

(cinq)

Derrière le verre glacé de la fenêtre,
papillonne, insistent, tenace, à ta recherche,
un vieux bourdon blanchi.
Je te vois sourire ;
tu sais que c'est bon signe, qu'il te portera chance.
Que tu auras de la chance. Que tout ira bien.
(Comment se fait-il que tu ne saches pas si tu es tombé amoureux
de la robe verte ou de la femme
qui la portait ?;
Comment peux-tu ne pas être certain de savoir si l'excitation naissait
de l'épaule découverte
ou de la bretelle du soutien-gorge ?)

All shall be well. Le bourdon bénéfique
s'en est allé.
(comment se peut-il que tu ne saches pas
si tu veux ce que tu désires
ou si tu veux ce qui met un frein à ton désir ?)
Le reste, non,
mais ces cheveux sur le visage,
tu les vois encore.

Esteve Miralles, Comme si tu avais le temps, traduit du catalan par M. Bourret Guasteví


(cinc)

Darrera del vidre glaçat de la finestra,
hi papalloneja, insistent, tenaç, buscant-te,
un bell borinot blanc. 
Veig com somrius;
saps que és un senyal bo, que et durà sort.
Que tindràs sort. Que tot anirà bé.
(¿Com pot ser que no sàpigues si et vas enamorar
del vestit verd o de la dona
que el duia?,
¿com pots no estar segur si t’excitava
l’espatlla descoberta
o la tireta dels sostens?)

All shall be well. El borinot benèfic
se n’ha anat. 
(¿Com pot ser que no sàpigues
si vols el que desitges
o vols el que et permet frenar el desig?)
La resta no,
però aquells cabells damunt la cara,
encara els veus.

Elle aime les femmes

À S., qui se reconnaîtra

Elle aime les femmes et boit un grog
à la pointe du comptoir. Le bar
est en son heure creuse, entre soir
et nuit. La cuillère fait lentement
tourner les transparences de citron
et de rhum. Elle est belle, répond peu.

Je lui parle de mon amour passé, brune
et jolie, comme elle. Sans qu'elle s'en
doute, ni moi non plus, je la dessine
de ma voix. Tout près, jovial et lent,
un client débite du graveleux. Sans le
savoir, ou en le voulant, il salit.

Je la vois qui ralentit le regard. Ses sourcils
sont ceux de C. mais déjà le client s'en est allé
qui m'étreint la main avec force. Le rhume a redoublé,
elle nous quitte, sans savoir que je lui promettais,
en secret, de lui écrire ces vers qu'aujourd'hui
vous lisez. Elle aime les femmes. Et les hommes aussi.

Traduire, dit-elle.

À M. Ll. F.

Le hasard m'a guidé et le livre
que je butinais naguère, voletant
au gré des pages hasardeuses, n'est plus.

À sa place, la surface lisse de la page
ordonnée. Oublié l'aléa jouissif, la marelle,
yeux bandés, à cloche-pied parmi les mots.

Non, ligne à ligne, vers à vers, être un autre,
courber la nuque, renifler, laisser le sang
engorger l'œil avide jusqu'à l'immobiliser

puis écrire au fil de l'eau comme l'enfant traverse
la rivière sur les galets chancelants, ne pas s'arrêter
jusqu'à tenir entre ses mains une forme neuve et inouïe.

Alors on peut laisser le lièvre, orphelin du serpolet humide,
s'enfermer dans une conduite intérieure jusqu'à ce que le feu,
le simple feu des mots, le libère enfin de la folie des hommes.

(quatre)

Que crois-tu que fasse un lièvre des bois
pris au piège d'une voiture en panne ?
Que crois-tu qu'il regarde,
qu'il pense, qu'il souhaite
qu'il se passe dans une voiture noire
garée dans une rue sans habitant ?
Qu'attends-tu qu'il lui arrive,
à ce lièvre sans bois,
ni champ pour y courir,
ni herbes odorantes pour s'y frotter ?

(C'est pour ça que j'y ai mis le feu.)

Cesse de remuer les cendres
avec cette vieille crosse de hockey. Cesse
de faire voler ce crâne
pour voir
combien de coups tu lui donneras sans qu'il ne tombe.

Esteve Miralles, Comme si tu avais le temps, traduit du catalan par M. Bourret Guasteví

(quatre)

¿Què creus que hi fa una llebreta boscana
atrapada en un cotxe que no arrenca?
¿Què creus que mira,
que pensa, què desitja
que passi al dins d’un cotxe negre
aparcat a un carrer sense veïns?
¿Què esperes tu que li passi,
a una llebre sense bosc,
ni camp per córrer,
ni herbes d’olor onte refregar-se?

(Perxò hi he calat foc.)

Deixa de remenar les cendres
amb aquest vell estic de hockey. Deixa
d’anar fent voleiar aquest crani
per veure
quants tocs li dóns sense que caigui.

mercredi 1 octobre 2014

(trois)

Ne reviens pas pour revenir et revenir encore,
pour venir fouiller dans les sempiternels tiroirs.
Je te vois ouvrir la commode défunte ;
tu n'y trouveras rien. J'ai tout dissimulé, et tu es
trop pressé, mon ami. Non, tu ne la trouveras pas ;
je sais que que tu veux la tablette de chocolat noir;
que tu veux la manger tout entière,
en douce. Je sais que tu en meurs d'envie,
je sais que tu veux que je te prenne la main dans le sac,
tu veux que je te trouve les lèvres barbouillées de chocolat,
tu veux que j'éclate de rire sous le faix de la joie
de l'instant. Tu veux que je te dise
que tu as
toute la vie pour me surprendre.

Esteve Miralles, Comme si tu avais le temps, traduit du catalan par M. Bourret Guasteví

(tres)
No tornis a tornar-hi, no tornis a venir,
i a venir a rebuscar pels calaixos de sempre.
T’estic veient obrir la calaixera morta;
no t’hi trobaràs res. Ho he amagat tot, i tens
massa pressa, company. No, no la trobaràs;
sé que vols la rajola de xocolata negra,
que te la vols menjar sencera
sota la taula. Sé que te’n mores de ganes,
sé que vols que t’enxampi,
vols que et trobi amb els morros salivant xacolata,
vols que em mori de riure superat per la gràcia
del moment. Vols que et digui
que tens
tota la vida per sorprendre’m.